Au sein de ce grand jardin qu'est la vie, le terreau le plus fertile pour l'imagination des déchus n'est autre que la fange. Nourris à des utopies ne menant qu'à des déceptions tragiques, le bas-peuple contemple le ciel pour au final n'y voir que la boue sous ses pieds. Et c'est ainsi que Drake avait vécu jusque-là, se redressant fièrement pour mieux courber l'échine sous le poids de son passé par la suite.

Petit déjà, le jeune basané observait avec admiration les héros, ces grands guerriers illustres donnant naissances à de multiples légendes inspirant les plus poètes des bardes à composer de nombreuses chansons glorifiant leur existence. Toujours, il avait aspiré à devenir l'un d'entre eux. La réalité, elle, était toujours bien plus triste. Il vivait sous le toit d'une courtisane, et à quinze ans seulement, il devait déjà se débrouiller seul.

Peu à peu, la désillusion se créait d'elle-même. Ce monde n'était pas celui des contes et légendes, et encore moins un dans lequel un jeune homme plein d'espoirs fous allait trouver aisément sa place. Petit à petit, l'instinct de survie reprit le pas, et c'est ici que la descente aux enfers avait pu commencer. La vie tranquille de nomade de Drake devint bien vite celle d'une petite frappe, puis celle d'un criminel de basse vertu.

Finalement, cet excès de négligence le mena sur le chemin impur du banditisme. La lie de l'humanité était désormais sa famille, et partout pour lui le commun des mortels n'avait que mépris et dégoût à son égard. Et pourtant, dans cet univers empli de haine, il y avait un homme qu'il respectait : Vorg. Les deux étaient tout simplement inséparables. Au sein du groupe de brigands qu'il avait intégré, Drake n'avait d'admiration que pour cet homme.

Les deux étaient des égaux sur bien des points : emplis de déceptions et ne vivant que pour la bataille. Vorg était parti de chez lui alors qu'il espérait devenir un illustre chevalier au service de Daein, tandis que Drake désirait devenir un chevalier errant volant fièrement au secours de la veuve et l'orphelin. Chacun était empli d'espoir et avait fini par tomber dans le banditisme comme dans une spirale infernale dont jamais on ne se sort une fois qu'on y prend goût.

Un soir, un autre compagnon du basané, un dénommé Snake, avait ramené une femme à leur campement. La jeune paysanne avait de longs cheveux d'or, et son visage angélique n'était entaché que par la peur qui déformait ce dernier en une grimace qui faisait peine à voir. La pauvre créature ne pouvait ni se défendre, ni crier à l'aide, et tout semblait perdu pour elle. Quelques-uns s'amusaient simplement à lui arracher un vêtement pour se délecter de la réaction effrayée de cette dernière, tandis que d'autres amenaient brièvement une de leurs sales mains crasseuses sur sa peau, violant sans pudeur l'intimité de son corps.

Le spectacle était insoutenable. Bien sûr, Drake et Vorg avaient déjà un peu forcé sur l'alcool et profité de femmes peu farouches, ou parfois juste eu des mains trop baladeuses à l'encontre de femmes du peuple. Mais jamais la souffrance ne leur avait procuré le moindre plaisir. Et face à eux, ceux qu'ils appelaient des compagnons étaient en train de profiter non pas de la jeune paysanne pour ses charmes; non, le plaisir qu'ils en tiraient était bien plus fourbe.

Les rictus vicieux accompagnaient des rires sinistres alors que Snake se fit plus pressant encore, sortant une lanière de cuir de son sac à dos. Prenant la paysanne allongée et nue sur ses genoux, telle une enfant que l'on corrige, sa main empoigna fermement la lanière tendue avec la ferme intention de s'en servir. Quelques secondes après seulement, un grand claquement se fit entendre, suivi immédiatement d'un cri de douleur. Puis d'autres. La délicate peau du derrière de la jeune paysanne se marquait, à chaque coup, d'une nouvelle ligne rouge vive.

Le regard de Drake suivit celui de Vorg, mais ce dernier fuyait. Lui qui était son frère d'armes, sa seule famille, avait les yeux fuyants et cherchait à ignorer tant bien que mal cette cruelle tragédie qui se déroulait sous ses yeux. Le jeune bandit aux cheveux corbins pouvait presque sentir son coeur battre au rythme des coups que la proie du serpent subissait à intervalle régulier.

Finalement, ce fut trop pour lui. L'esprit de Drake était embrumé, ses mains tremblaient, et il se mit à voir rouge. Son bon-sens le quittait, et une envie soudaine de violence s'empara de lui. Sa main se crispa d'un coup sur la lance à côté de lui, et c'est ainsi que le carnage commença. Il avait tenté d'arrêter Snake en plantant son arme dans son corps, mais quelqu'un l'avait arrêté net d'un coup de masse. Quelqu'un qui, de plus, savait pertinemment ce que le jeune bandit avait en tête en se levant si brusquement avec son arme en main. Cette personne, c'était Vorg. C'est ainsi que cet acte de trahison fut puni par l'exil, laissé pour mort, dans la nature, avec ses sous-vêtements comme seul attirail.

Aujourd'hui, il se souvenait de tout. Ses pérégrinations avaient ouverts sa mémoire, et chaque détail lui était revenu en tête. Son enfance, son départ, le groupe de bandits... Sa propre vie n'était enfin plus un secret pour lui, et pourtant, une déception immense le traversa. Ce chagrin, c'était celui d'un homme qui n'avait rien pour lui.

Il avait déserté l'armée, le peu de famille qu'il possédait le considérait comme un poids, et ses anciens compagnons n'étaient toujours que de vulgaires bandits de la région. Mais aujourd'hui, une tâche lui restait. Quelque-chose de terrible restait à faire, et bien que l'envie lui manque, une seule personne pouvait s'occuper de remplir son devoir : Vorg devait mourir.

Les deux hommes étaient très proches, et chacun respectait bien trop l'autre pour pouvoir accepter une trahison. Vorg avait trahi Drake en protégeant Snake, tandis que le basané avait trahi son frère d'armes en attaquant un des chefs de la bande. Aujourd'hui, ils étaient tels deux louveteaux séparés de leurs meutes respectives : Drake avait voulu devenir un héros du peuple, et Vorg un bandit le martyrisant. L'un d'entre eux devait mourir.

Le campement des bandits s'était bien éparpillé depuis la mort de Snake. Vorg dînait, seul, à la belle étoile, lorsqu'il entendit un bruit venant dans sa direction. Ses yeux s'écarquillèrent vivement lorsqu'il reconnut ce qui lui sembla être comme un fantôme : une peau sombre, un visage angélique orné de deux boucles d'oreilles rutilantes, de longs cheveux noirs semblables au plumage d'un corbeau... Aucun doute possible, son ancien frère d'armes était revenu des morts pour lui parler en personne.

S'asseyant à ses côtés, Drake laissa un lourd et oppressant silence engager la conversation à leur place. La tension entre les anciens camarades était palpable, bien que seule la pleine-lune ne soit présente pour en témoigner. Finalement, le crépitement des flammes vint se stopper alors que la pluie se mit à battre. Les deux compagnons savaient très bien ce qu'ils allaient faire : chacun empoigna ses armes et prit position, à bonne distance, en attendant quelques instants.

De longs regards furent échangés, et toujours aucun mot. Ils ne se connaissaient que trop bien pour laisser de futiles paroles entacher un duel aussi important que celui-ci. Durant de longues heures les louveteaux purent s'entrainer ensemble, mais cette fois-ci, tout était différent. Ce combat-ci, il ne serait pas anodin : c'était un combat à mort. Aucun d'entre eux ne s'arrêterait jusqu'à ce que l'autre ne périsse sous l'arme de l'autre.

Finalement, ce fut Vorg qui engagea le premier coup, un cri de guerre perçant quittant sa gorge juste avant que le fer de sa masse ne se dirige vers le nomade. Un pas de côté permit à Drake d'assener un virulent coup à l'aide de la hampe de son arme dans le dos de son camarade, qui reprit bien vite ses appuis pour enchaîner de vives frappes haineuses.

De longues minutes passèrent, sous le crépitement du ciel qui crachait pluie et orage sous ce terrible théâtre où se jouait une bien curieuse pièce. Les coups volaient, le sang coulait, mais ce fut au dernier moment que, profitant d'une habile feinte, Vorg put faire vaciller Drake. Mais alors qu'il allait frapper, son regard croisa celui de son frère d'armes. Ce regard, accusateur et hargneux, le fit hésiter une seconde. Rien qu'une seconde...

Cette seconde, elle scella son destin. Le regret s'empara soudain de lui, tandis que la lance du basané pénétra le corps du combattant qui laissait un faible soupir exprimer sa douleur. Son corps inanimé, sanguinolent, tomba au sol, alors que ses forces le quittaient peu à peu. Réalisant ce qu'il venait de faire, Drake voulait rester fort. S'agenouillait auprès de son ami, de la seule personne qu'un jour il aie la fierté d'appeler une famille, il se saisit de sa nuque pour redresser sa tête.

Les mots de Vorg, pourtant, purent quitter ses lèvres avant que son dernier souffle ne s'en échappe par la suite. L'ancien bandit s'attendait à être maudit par l'homme qu'il venait de tuer, et pourtant, un sourire animait cette même bouche qui venait à présent de prononcer les paroles suivantes :

« Vis... tes rêves. Réussis... là où j'ai échoué. »

Finalement, il avait du le faire. Tuer son propre frère, l'homme avec qui il avait passé toutes ces années. Ils veillaient l'un sur l'autre, s'assuraient de ne jamais se corrompre plus que nécessaire. Désormais, ses mains tenaient le corps inerte de son unique ami.

Les larmes se mêlèrent à la pluie qui ruisselait sur son visage, tandis qu'un hurlement déchirant transperça la nuit. Ces larmes, il ne pouvait plus les contenir. Il pleurait, s'époumonait, et pourtant, il n'avait pas eu le choix. La plaie béante dans l'abdomen de son compagnon, c'était lui qui l'avait causé. Bon nombre de fois, au cours de sa vie, il avait du tuer. Mais cette fois-ci... C'était différent. Il n'avait pas simplement tué un homme, mais aussi une partie de lui-même. Dans ses bras, Drake tenait le corps sans vie du seul être qui lui avait un jour redonné goût à la vie. Ses cris ne cessaient pas, tant le désespoir l'envahissait. Cette tristesse, jamais il ne l'avait ressenti auparavant. Quelque-chose, au fond de lui, s'était brisé, comme un amour fraternel profond qui venait à tout jamais d'être anéanti en une seule nuit.

Toute la nuit, il avait creusé à l'aide de ses propres mains et de pierres plates, une tombe pour son défunt camarade. La pluie glaçait même jusqu'à ses os, mais rien ne pouvait l'arrêter. C'était bien la seule chose qu'il pouvait faire en la mémoire de Vorg... Une sépulture décente. C'est ainsi que, en compagnie de ses armes, ce vaillant guerrier ayant succombé à ses instincts de survie repose désormais près d'une petite croix de bois, sur laquelle un nom de quatre lettres est maladroitement épelé : "Vorg".

Le voyage de Drake se poursuivit par la suite sans qu'il ne s'arrête pour regarder par-dessus son épaule. Il n'avait plus aucun lien avec son passé, et il s'était acquitté d'une dette d'honneur qui hantait ses pensées depuis que la mémoire lui était revenue. Rien ne serait plus comme avant... Aujourd'hui, plus personne ne devait perdre espoir. Les deux rêveurs aspiraient un jour à devenir des héros, et désormais, il ne restait plus qu'une chose à faire pour honorer les années que Drake avait pu passer avec son compagnon : lui-même, il devait devenir un grand guerrier.

Sans histoire, sans espoir, sans futur et sans famille, Drake avait pourtant aujourd'hui un rêve. C'est cette passion, cette utopie personnelle qui pouvait le pousser à devenir meilleur. L'avenir, désormais, lui paraissait bien plus radieux maintenant qu'il était libre. Mais sa vie valait-elle réellement le prix qu'il avait du payer... ?

Eh bien eh bien. Suffit de te pousser apparemment.
C'est une très belle réévaluation. On entre dans la tête du personnage, on voit son monde de façon claire. Il me manque toujours ce "truc" qui me fait partir en me mettant entièrement dans sa tête, mais c'est déjà plutôt proche et franchement intéressant !

On a un changement drastique, on passe d'horreur en horreur, mais ça se lit extrêmement bien. Tu as une plume qui, si tu la chargeais un poil moins de phrases longues - parfois on dirait que tu les rallonges exprès -, serait plus orale. Du coup ça la rendrait encore plus fluide. En fait, de ce que je vois, on dirait des artifices. Tu combles quelque chose? Je sais pas trop.

Quoi qu'il en soit ! J'aime beaucoup cette rééval, j'aime la tension que tu crées - même si j'aurai insisté un poil plus sur la rencontre

Je t'attribue la note de 17/20, c'est juste un point de plus, mais je trouve ça plutôt pas mal !

Tu pourras faire ta prochaine rééval dans 1 mois !
Bonne continuation !