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 La Voie des Ténèbres. [CDC : Kerorian]

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Kerorian
Kerorian


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MessageSujet: La Voie des Ténèbres. [CDC : Kerorian]   La Voie des Ténèbres. [CDC : Kerorian] I_icon_minitimeSam 26 Oct - 23:49

  Daein. Un rude pays, comportant de nombreuses et hautes chaînes de montagnes, aux températures basses et à l’histoire sombre… Un peuple fasciné par les wyvernes au point de parvenir à les dresser, au passé lourd de guerre et de racisme, aux persécutions contre les Laguz, appelés alors les sous-humains, et au règne chaotique d’Ashnard, le Roi Fou, qui fut apprécié du peuple…jusqu’à ce qu’il porte les flammes de la violence à travers tout Tellius. Un royaume qui n’échappa pas à la sournoise vengeance de Begnion après sa défaite, créant ainsi de nouvelles tensions, et qui s’enfonça une seconde fois dans la misère, la peur et la haine lors de la deuxième guerre.
C’est ce pays que Kerorian retrouva avec un sublime plaisir, ces terres souvent glacées, ces pics éternellement enneigés, ces dragons traversant parfois le ciel tels des points noirs lourdement armés, voilà sa patrie, son pays natal, le seul où il se sent…chez lui. Il contempla avec un discret sourire les paysages tant chéris, à la beauté froide et à l’exquise simplicité. Quel bonheur cela était de revenir enfin ici, le Rôdeur ne pouvait supporter le désert, son insupportable vent sec qui agresse les yeux et la gorge avec le sable qu’il transporte, l’infâme réverbération de cet horrible soleil de plomb, et l’extrême chaleur toute la journée, pour ensuite geler la nuit…et tout cela dans un monde totalement vide, privé de vie, de limite, rien que du sable, du sable partout, sans jamais s’arrêter...

 Une raison de plus d’aimer son pays se dit le voyageur qui reprit son inlassable marche, se concentrant sur bien d’autres soucis. Cela faisait plus d’une semaine depuis qu’il avait rencontré ce vieil homme, dans les terres plus clémentes de sa patrie, près de la frontière avec Hatary, qu’il avait interrogé comme presque chaque personne qu’il croise, mais qui contrairement à bien d’autre lui avait fait miroiter l’espoir d’une terre de rêve… Un petit village du nom d’Esberg, un coin de paradis selon le vieillard, isolé et paisible, exempt de taxes car situé sur une frontière et plus ou moins inconnu. Le vieux fermier lui avait assuré que personne, ou presque, n’y passait jamais et que ses habitants se satisfaisaient de peu, et pour couronner le tout, la vue y serait magnifique. C’était bien plus qu’il n’en fallait, cette terre promise offrirait la sécurité et la paix à sa « famille », tout en ne le forçant pas à sacrifier ses propres intérêts. Kerorian aimait Daein, il aimait les montagnes et le calme, la simplicité… Si ce que le paysan lui avait dit était vrai, alors Esberg deviendra son foyer, et ce avec grand plaisir. Il savait déjà qu’Alan partagerait son avis, loin de tout et surtout de la guerre, il pourra élever ses enfants sans craindre le pire. Quant à Liyu…certainement qu’elle se plaindra qu’il fait froid et que c’est haut, ça la montée sera rude ! Le Rôdeur sourit en repensant à la belle barde, ainsi qu’à la famille qui venait subitement de se former alors qu’il arrivait du massif indiqué et se sentit excité comme un petit garçon à la veille de son anniversaire. Bientôt il habiterait peut-être ici, avec des amis, loin de la violence et de la haine, loin de cet horrible désert, loin de la société… Le cœur battant, il s’accorda pourtant une petite pause, il venait de faire un long voyage et son périple était loin d’être terminé. Le voyageur s’installa au pied d’un arbre, l’un de ses chers conifères qui peuplèrent son enfance et sorti de quoi se restaurer.

 Quand il reprit sa route et entama l’ascension du sentier qui promettait d’être délicieusement interminable, Kerorian dut se faire violence pour ne pas tenter l’ascension en courant, ce qui l’aurait rapidement épuisé, et gravit patiemment mais sûrement l’interminable chemin qui serpentait entre rochers et buissons, laissant de temps à autre entrapercevoir à un observateur vigilant quelques animaux, et il marcha avec un plaisir grandissant, comme si chaque nouveau pas le délestait un peu plus de ses si nombreux soucis qu’il avait récolté depuis le début de son périple : La criminalité, la violence, le mensonge, le danger, les forces mystiques…tout cela semblait relâcher petit à petit son étreinte sur le guerrier, comme si ces fardeaux ne parvenaient pas à le suivre en ce lieu reculé, et cette sensation de liberté peu à peu retrouvée galvanisa le Rôdeur qui n’en poursuivit sa marche qu’avec plus de détermination.

 Deux jours s’écoulèrent, sans le moindre changement. Kerorian marchait toujours, se reposant en profitant du calme et de la beauté du paysage dès qu’il en ressentait l’envie, pouvant enfin savourer le silence depuis que l’esprit qui hantait son épée géante en avait été plus ou moins chassé, et s’il se sentait parfois vraiment seul, un sentiment auquel il n’était plus habitué, il ne regrettait jamais en revanche l’absence de cette petite et insupportable voix qui murmurait toujours les pires atrocités en ruinant le moindre instant de son existence. Ses pas le menèrent à un passage étroit, passant entre deux énormes blocs de roche, d’abord sceptique quant à sa capacité à l’emprunter, il s’avisa ensuite que l’espace était au final plus grand qu’il n’y paraissait et s’engagea sans aucun heurt, même sa gigantesque lame ne le gêna pas dans sa progression. Alors que la lumière déclinait dans cet étrange tunnel, qu’il supposait naturel mais un minimum emménagé au vu des parois un rien taillées, le Rôdeur se fit la réflexion qu’il ne pourrait pas faire demi-tour s’il le fallait, et soudain un léger malaise s’empara de lui, chassant la béatitude qui l’avait envahie depuis son arrivée pour laisser place à la vigilance. L’endroit est beau certes, mais les plus beaux palais sont le théâtre des plus odieux complots, d’autant plus qu’il réalisa en même temps qu’il n’aurait pas la possibilité de se défendre efficacement ici, il pouvait à peine avancer alors se battre…sa grande carrure lui posait souvent ce genre de soucis.

 Il sortit du tunnel, les sens aux aguets, et aperçut juste à temps le tireur pour plonger et éviter la flèche qui siffla au-dessus de sa tête. A ras du sol après son esquive, il s’appuya par terre pour prendre de l’élan et charger son agresseur alors que trois autres bandits sortaient des fourrés. Une fichue embuscade, et il aurait été prêt à parier qu’un autre arrivait depuis le tunnel pour lui couper la retraite. L’innocence qu’il sentait revenir petit à petit depuis sa venue s’effaça à nouveau et laissa place à la colère et à tout ce qu’il espérait bien fuir par ici. Ne tenant pas à devoir se jouer d’un autre tir, il se précipita vers l’homme qui rechargeait aussi vite que possible son arbalète. Une arme puissante, mais laissant peu de place à l’erreur lorsqu’on est aussi près ! Vif comme l’éclair, le plus petit des bandits se jeta à une allure folle sur Kerorian en brandissant deux fines dagues. Le Rôdeur ne ralentit même pas, le frappant juste en pleine course de son énorme poing protégé d’une lourde plaque d’acier alors que le tireur jetait son arbalète pour tirer une épée courte en le voyant arriver. Un de ses compagnons se campa à ses côtés en brandissant une paire de haches, le troisième entreprit  il de se décaler pour l’attaquer de côté. Abandonnant toute pitié, le guerrier dégaina le gigantesque lame maléfique avant de tourner sur lui-même pour balancer son arme dans une terrible coupe horizontale, profitant de sa rotation pour stabiliser sa course tout en pourfendant d’un seul geste ses deux adversaires avant de se camper solidement sur ses jambes en reprenant une garde stable en se tournant face au dernier survivant, apercevant en même temps du coin de l’œil un dernier larron sortir du tunnel. D’abord stupéfié, son adversaire se ressaisit assez rapidement et commença à tourner autour de lui, s’accordant habilement avec son dernier compagnon pour l’encercler, ou du moins essayer. Kerorian regarda celui qui venait de sortir de la faille rocheuse, il portait une épée normale, d’un coup d’œil il vérifia son camarade qui serrait rageusement le manche de sa hache. Son choix était fait, il attendit qu’ils se rapprochent, pas après pas, tournant en rythme pour essayer d’avoir une ouverture, mais le Rôdeur fit un grand pas et tourna à nouveau pour laisser l’élan propulser son épée et déplier ses longs bras, étirant son allonge au maximum en se laissant lui-même entrainer par le poids de l’arme et arracha un bras au niveau du coude du manieur de hache qui hurla, avant de se tourner vers le dernier survivant qui se sentit soudain bien peu vaillant et tourna les talons pour s’enfuir. Kerorian le regarda fuir avec haine, il aurait voulu exterminer cette vermine, s’assurer qu’ils ne soient plus jamais une menace pour quiconque, et encore moins pour sa famille…mais il était bien trop lourd, il ne l’aurait jamais rattrapé. Puis il se tourna vers son ennemi qui tenait désespérément son moignon sanguinolent en reculant jusqu’à ce que son dos cogne la paroi rocheuse, et implora misérablement son opposant en sentant sa fin approcher.


- Pi…pitié ! Ne me tuez pas !

 Le Rôdeur s’arrêta devant lui alors qu’il se recroquevillait à ses pieds, et le regarda dans les yeux. Il y lut la peur, la terrible terreur que l’on ressent lorsque notre vie est sur le point de s’arrêter, pour rien au monde ce malheureux n’aurait voulu périr, et estropié comme il l’était, plus jamais il n’aurait osé reprendre le banditisme, il était inutile de le tuer, son maître le lui aurait dit : « Inutile de l’achever, tu t’abaisserais à leur niveau. »

Il ne prononça pas un mot, ne lui accorda pas la moindre pitié, et se détourna du blessé. Il savait qu’il ne survivrait pas ici à une telle blessure, et rangea la meurtrière lame sans offrir la moindre compassion à ses victimes. Il était furieux, et dégouté…même ici le danger et le crime rôdaient, bien des malheureux avaient dû succomber à l’attaque surprise de ce groupe sournois. Le Rôdeur soupira, et espéra que ça serait le seul et unique incident déplorable d’ici Esberg et continua froidement sa route, la colère et le sang tâchant une fois de plus ses mains le privèrent du plaisir innocent de profiter du paysage.
Le soir venu, il chercha un lieu sûr d’où nul ne pourrait le surprendre et s’y établit pour dormir d’un sommeil tendu, c’en était fini de l’aventure enfantine.

 Le Rôdeur continua son périple le lendemain, sans plus se laisser distraire. Il voyait encore la simplicité de ce paysage montagnard, et s’avisa quelque fois qu’il ne reconnaissait pas telle ou telle fleur, mais ne se laissait plus aller comme avant. Et la route s’avéra à nouveau calme, silencieuse sinon le bruit du vent entre les failles, du bruissement discret des épines entre elles, de la course paniquée d’une proie se mettant à l’abri… Kerorian réalisa alors qu’il n’y avait pas de vie intelligente ici, personne avec qui parler, vraiment personne. Ce jour-ci, le lendemain, et même le surlendemain, pas une seule fois il ne vit une trace d’humanité. L’environnement était tout entier voué à la vie sauvage, et si c’était un spectacle réjouissant…quelque chose le troublait, il était seul. Vraiment seul. Personne ne lui parlait et il ne parlerait à personne, il n’y avait rien. Rien sinon une vie primitive. Il commençait à se dire que cet esprit maudit lui manquait, au moins lui tenait-il compagnie…

Au troisième soir après l’attaque des bandits, alors que le soleil déclinait, le voyageur solitaire aperçut au loin une fumée et sentit l’espoir revenir, elle était trop isolée pour être un accident : Il y avait quelqu’un sur cette montagne ! A vue de nez, il pourrait sans doute la rejoindre le lendemain…il s’enroula dans sa cape lorsque une pluie s’annonça, et s’endormit péniblement en repensant à Liyu. Kerorian se sentit alors plus seul que jamais, et sombra dans la nuit et le froid…

 Il atteignit au crépuscule du lendemain après un après-midi fort pluvieux une taverne, le genre de petit établissement perdu au milieu des routes oubliées et offrant aux voyageurs un peu de réconfort. Pour la première fois de sa vie, le guerrier aux cheveux rouges se sentit heureux de trouver des gens. La bâtisse était modeste, assez vieille à première vue, mais tenait debout. Pressé de retrouver un peu de chaleur humaine, et de se cacher de cette fichue humidité, il poussa la porte et entra dans une petite salle, occupée par quelques tables plus ou moins bancale, mais aucun client. Le patron leva les sourcils en le voyant, comme s’il était étonné de voir quelqu’un entrer ici, puis délaissa l’essuyage compulsif de son verre pour venir le voir, apparemment trop heureux d’avoir enfin un client.


« Bonjour Monsieur ! Que puis-je faire pour vous ? Désirez-vous un repas, une chambre ? »

 Le Rôdeur se dit que les affaires ne devaient pas très bien marcher dans le coin, et s’installa à la table qui lui semblait la plus propre en disant qu’il apprécierait en effet de quoi manger et un toit pour la nuit, ce qui sembla ravir le tenancier qui s’en alla de suite préparer le plat que le voyageur demanda après qu’il lui ait dit ce qui était disponible.
A son retour, le patron ramena une deuxième assiette, un pichet d’eau et une bouteille de vin, et s’installa en face de son unique client avant d’entamer la discussion. Kerorian devina qu’il s’ennuyait lui aussi, tout comme lui-même se sentait de plus en plus mal à l’aise à force de ne fréquenter personne et ne s’en formalisa donc pas, bien au contraire.


«Alors, qu’est-ce qui vous amène dans les parages ?  C’est qu’il y a pas grand-chose à voir dans l’coin ‘voyez »

 L’homme avait un accent qui faisait sourire le Rôdeur, qui se plût grandement à raconter son histoire, ce long trajet depuis Hatary pour trouver un foyer sûr pour sa famille et lui, l’attaque des bandits, et les interminables journées à gravir cette montagne. Jetant un œil autour de lui, il eut le sentiment que personne n’était plus venu ici depuis bien longtemps. Il posa la question au tenancier qui commença alors à se tortiller sur sa chaise, le sujet semblait lourd…

« Autrefois cette taverne n’tournait même pas si mal, les pèlerins venaient souvent s’y arrêter…puis un jour il y eut ce…meurtre. Une pauvre fille, qui n’avait rien demandé à personne…à la faveur de la nuit, un type s’est introduit dans sa chambre et il lui prit bien plus que la vie… »

 Il raconta ensuite comment ils avaient retrouvé le corps de la malheureuse le lendemain, déchiqueté, mais ne parvint pas à raconter l’indicible horreur dans laquelle lui et les clients avaient alors été plongés. Il ne réussit qu’à dire qu’il n’en restait plus rien d’intact, et que la chambre ressemblait plus à un autel sacrificiel d’un quelconque culte de déments sanguinaires qu’à une chambre digne de ce nom…  Ils ne retrouvèrent jamais le tueur malgré tous leurs efforts, on accusa alors les Laguz  d’avoir fait le coup bien que cela soit impossible, mais les rumeurs se propagèrent, et petit à petit l’établissement eut la réputation d’être un lieu fréquenté par des fous dangereux, des sous-humains assoiffés de sang et bien d’autres choses, toutes plus horribles les unes que les autres. Un à un, même les plus habitués ne revinrent plus jamais…

 Lorsqu’il alla se coucher, Kerorian ne trouva pas le sommeil. Il repensait à cette histoire que lui avait raconté le patron et qui lui nouait l’estomac. Il avait déjà été confronté à un cultiste fanatique par le passé, et s’il n’avait été qu’un imbécile qui se contentait alors d’animaux de toute taille, c’est une aventure qui resta profondément ancrée dans son esprit. Il revoyait les cages thoraciques explosées des pauvres bêtes, les côtes tirées vers l’extérieur comme une parodie d’ailes décharnées, et les peaux lacérées des carcasses dépecées… Et pour toutes les horreurs qu’il avait pu voir au cours de ses autres voyages, le pauvre Rôdeur imaginait sans aucun mal l’état de la pauvre femme après ce que lui avait infligé ce malade.

 Lorsque l’aube se leva, le voyageur en fit autant, mais n’avait pas eu la chance de pouvoir se reposer. Toute la nuit il avait balancé entre des visions de cauchemar, entre les histoires digne de livres d’horreur et sa propre expérience qui lui laissait un avant-goût de ce dont était capable la race humaine. En dépit d’un manque flagrant d’appétit, il se força à prendre un dernier petit déjeuner, puis remercia le patron et reprit la route, le pas trainant et le moral à zéro. Il n’en pouvait plus de toutes ses horreurs qui semblaient le poursuivre où qu’il aille, même au plus loin de la montagne. Le malheureux Rôdeur ne garda espoir que grâce à la promesse d’une terre de paix qui l’attendait au bout de la route, et n’essaya même pas d’envisager ce qu’il ferait si jamais Esberg n’existait pas… Il craignait de n’avoir pas de réponse. Esberg n’était pas qu’un lieu en ce moment pour lui, c’était un rêve, un espoir, le dernier espoir. Si ce village idéal n’était pas au bout de sa route, alors il ne serait au bout d’aucune, le guerrier le sentait au fond de lui : Il fallait qu’il trouve ici même son Éden, ou alors il n’y en aurait jamais.
En milieu de journée, alors épuisé et déjà au fond du gouffre, il eut le sentiment qu’une armée s’affairait à creuser encore plus profondément lorsqu’il découvrit un cimetière au bord de la route. Un immense cimetière, peut-être le plus grand qu’il ait jamais vu en dehors d’une capitale. Il quitta le sentier et marcha entre quelques rangées de pierres tombales grossièrement préparées, sans ornement, sans même parfois de forme précise, mais toute avait une chose en commun. Elles étaient anonymes. Aucun des malheureux enterrés ici-là n’aurait droit à d’hymne funèbre, pas d’hommage de la part d’un proche, pas de petite offrande pour un être cher. Ceux qui étaient ici n’étaient plus rien, ils n’étaient que pierres et lichen sur la montagne, leur identité et leur existence balayées… Kerorian ne vit qu’une seule raison à cela, la guerre. Ses jambes se dérobèrent subitement sous lui et il tomba à terre, désespéré. Si haut dans la montagne, si loin de toute richesse, de toute armée et de tout seigneur, la guerre était tout de même venue… Le Rôdeur se dit que même la peste était un bien moindre fléau que cette tendance naturelle, presque inéluctable des hommes à se livrer bataille.

 Kerorian resta là un long moment, s’étalant sur le dos entre les stèles sans noms, il désespérait de trouver un jour un lieu où la violence n’aurait pas établi sa domination. Eut- Il se sentait las, fatigué…était-ce vraiment dans ce genre de monde qu’il devait devenir père ? Est-ce que sa chère barde pourrait vraiment donner la vie, quand tout le monde s’affaire à répandre la mort ? Il repensa à ses « enfants du futur », à ce qu’ils lui avaient raconté de son avenir… Il avait perdu la tête et commencé à exterminer le continent, sans doute avait-il eu un raisonnement similaire à un moment ou un autre, que le monde et ses habitants étaient tous condamnés, qu’une poignée d’innocents seraient toujours les victimes des rêves de destruction aveugle de quelques puissants.
Il ferma les yeux et repensa à sa vie. Son enfance, ses rêves, ses passions, les gens qu’il avait rencontré ainsi que leur propre vie, leur but, puis il pensa à ses proches. Son maître et grand-père, les quelques amis qu’il s’était fait, celle qui avait ravi son cœur, et à Kerowyn. Cette géante venue du futur qui lui ressemblait tant… Soudainement il sentit la chaleur revenir dans son corps, il devait continuer. Il y avait encore un espoir, « Après la pluie, le beau temps ! » disait-on souvent, sans doute qu’au-delà de ce carnage et de la souillure de la mort jusqu’à ces contrées reculées, se trouverait le paradis, là où il pourrait voir sa fille, celle de son présent, celle à naître, grandir et rire, devenir une belle femme, et vivre en sécurité dans un monde, certes réduit, mais en paix…
Encore épuisé et le moral miné, le guerrier se releva tout de même et reprit son inexorable voyage vers l’inconnu, rêvant à chaque pas d’un avenir meilleur, d’une vie sûre pour sa magnifique fille à naître…

 Le ciel gronda. Levant la tête, le Rôdeur au souffle court aperçut des nuages se former à nouveau au-dessus de lui. Une nouvelle pluie en perspective…comme si la route n’était pas déjà suffisamment dure. Il soupira une fois de plus en continuant péniblement à mettre un pied devant l’autre, se disant qu’autrefois il arpentait les chemins les plus désertiques sans le moindre mal, et qu’aujourd’hui il ne parvenait même plus à supporter l’absolue solitude qui l’entourait. Il s’en apercevait désormais, si loin sur le chemin, qu’il avait besoin de quelqu’un, de n’importe qui, pour sentir qu’il existait encore, pour savoir que quelqu’un l’empêcherait de se perdre lui-même. Pourquoi  cela devait-il être si dur de simplement vivre ? Pourquoi est-ce que c’était si compliqué de se trouver un malheureux foyer ? Quel grand seigneur ou dieu absolu avait décrété un jour qu’il devrait gravir une telle montagne dans la plus froide des solitudes, dans un silence de mort brisé uniquement par le bruissement sans vie de quelques rares branches entre elles ? Il y avait-il une loi suprême qui commandait à ce qu’il doive brûler jusqu’à son âme pour chercher une maigre lueur d’espoir ? Le guerrier eut envie de hurler sa colère, et leva la tête au ciel. Mais contemplant les sombres nuages si haut au-dessus de lui, insensibles et distants, il ne put que soupirer en se demandant qui pourrait bien l’entendre. Même ses propres démons l’avaient abandonnés, après s’être surpris plusieurs fois à se marmonner à lui-même, il en était venu à essayer de parler à son épée démoniaque, à en espérer une réponse, mais l’arme maléfique demeurait muette, inerte, morte. Morte comme l’univers qui l’entourait désormais, il n’y avait plus les courses folles de petites proies, plus d’insectes chantant pour la survie de l’espèce, plus rien, rien que de la pierre et quelques arbres, parfois mourants.

 Son pied buta soudainement contre une pierre et il s’étala de tout son long sur l’interminable sentier. Une roche proéminente lui rentra dans la poitrine et lui coupa le souffle en lui infligeant une terrible douleur. Souffrant comme si l’on venait de l’estoquer, Kerorian se laissa rouler sur le côté en toussotant péniblement, se repliant sur lui-même sous le supplice. Il resta prostré là, cédant à l’épuisement et à la peine pendant de longues minutes, ne parvenant plus à rassembler son courage pour se relever, c’était un combat qu’il désespérait de gagner lorsqu’il réalisa que personne ne venait se pencher sur son épaule, que nul ne venait lui adresser une parole réconfortante ou lui tendre une main chaleureuse. Lorsqu’il referma son poing dans le vent, il ne rencontra rien, sinon de la poussière et du froid, oui il avait froid, si froid, jusqu’au plus profond de lui… Il ferma les yeux et songea à se laisser sombrer ici, personne ne viendrait l’aider à se relever, il était seul, et la route si longue… Que n’aurait-il pas donné pour voir quelqu’un, n’importe qui, voir n’importe quoi ! Quelque chose qui vive, quelque chose à quoi il pourrait se confier ! Rouvrant les yeux, le Rôdeur vit la terre volatile du chemin, et tout naturelle y fit courir un doigt qui laissa une trace. Gémissant en se redressant tant bien que mal sur un coude, sa lourde épée ne facilitant en rien cette pénible tâche, il pencha la tête avant de commencer à dessiner une forme dans la poussière. Quelques traits, un rond, puis il s’assit et recommença un petit plus loin, toujours le même nombre de traits, mais plus longs cette fois, et un cercle plus grand aussi, le voyageur épuisé s’accorda un mince sourire lorsqu’il traça ensuite une ligne supplémentaire, épaisse, au bout de ce qui était le bras de son personnage. Un fou-rire le saisit lorsqu’il réalisa le ridicule de sa propre représentation ici, sur le flanc d’une montagne, perdu au milieu de nulle part à en perdre la raison au point de se dessiner lui-même avec son énorme épée sur un bout de terre totalement oublié de l’humanité. Quand il commença à dessiner d’autres arabesques simplifiées dans la nature, il tira son vieux carnet de route. Un épais livre à la couverture épaisse et usée par les voyages dans lequel le guerrier avait consigné le récit de son aventure. Il restait si peu de pages encore vierges… Le Rôdeur retira ses lourds gantelets, puis sorti son matériel d’écriture. Un peu d’encre, une plume de qualité, de quoi la tailler, puis commença à dessiner une histoire, celle d’un grand bonhomme aux cheveux rouges, bien qu’il n’ait pas les outils requis à la réalisation des couleurs, qui avait quitté sa maison, sa famille et ses amis, pour voyager à travers le monde, et partout où il irait il apporterait la paix et la compassion. Une aventure pleine d’amour et de tendresse qui lui réchauffa un peu le cœur…

 Lorsqu’il se releva enfin, il garda son cahier à la main, s’arrêtant plusieurs fois sur la route lorsqu’il se sentait à bout de forces pour écrire quelques péripéties supplémentaires, noircissant rapidement les ultimes pages légèrement jaunissantes du carnet avant de reprendre sa route, un tant soit peu soulagé de son interminable exil. Le vagabond manqua de trébucher une nouvelle fois, il regarda ce qui avait manqué de peu de lui valoir un nouveau vol plané et vit le reste d’un genre de pancarte, rongée par le temps, étouffée sous les plantes survivants à un tel endroit et effritée par les intempéries. Il se pencha, et arracha les racines qui enterraient la malheureuse indication, abandonnée aux éléments depuis sans aucun doute bien avant sa naissance. Le texte autrefois inscrit était pratiquement effacé. S’efforçant un long moment de décrypter les lettres mises à mal, Kerorian ne parvint toutefois à ramener à la vie que la fin du mot. « Erg ».
Le courage revint soudainement. Une pancarte indiquait ici par le passé le village d’Esberg ! Quel autre village, surtout avec un nom pareil, aurait bien pu se trouver dans les parages ? Abandonnant là sa découverte, le Rôdeur reprit sa route avec entrain, le pas plus vif et enthousiaste que jamais. Enfin sa quête touchait à sa fin ! Il allait découvrir ce fichu patelin, puis il retournerait chercher sa famille, et reviendrait ici, entouré de ceux qui lui sont chers… Une pluie légère commença à tomber. Il l’ignora.
Le terrain s’aplanit petit à petit à mesure qu’il gravissait ce qu’il nommerait « La dernière Pente », au point qu’il put commencer à trottiner, et même à se mettre à courir lorsqu’il vit enfin ce qu’il pensa être les premières pierres du village tant désiré. Son sourire s’effaça, sa joie mourant pour laisser place à un indicible tourment.

 Le village était mort.

 Il erra, hébété, jusqu’à ce qui lui sembla être la place principale en posant ses yeux défaits sur le paysage de désolation qui l’entourait. Les murs qui ne s’étaient pas effondrés semblait avoir connu la guerre, de nombreuses poutres brisées étaient noircies, comme si le feu avait dévoré les habitations, du sang séché, coagulé depuis des mois et des années infectait le sol, empoisonnant la terre devenue si infertile de tant d’abominations que plus aucune vie ne pouvait y pousser.

 Abattu, le Rôdeur se laissa tomber à genoux. Son espoir, ce rêve, cette utopie…n’existait pas. Il referma sa main et ramassa une poignée de cette poussière funèbre. Il lui semblait qu’elle n’avait rien en commun avec celle dans laquelle il commença à dessiner, voilà quelques heures à peine. Même la pluie n’avait réussi à nettoyer, même en si longtemps, la souillure qui flétrissait la terre. Elle ne faisait que mouiller le guerrier et masquer les larmes qui ruisselaient sur ses joues, mais son bruit ne suffit pas à cacher ses sanglots. Kerorian n’avait jamais aimé pleurer, et s’était depuis toujours efforcé de ne jamais le faire, et s’il avait cédé devant quelqu’un il en aurait eu honte toute sa vie. Mais ici, qui l’aurait vu ? Il n’y avait plus rien, personne pour lui rappeler sa gêne, pas même un seul oiseau dans ce ciel infiniment vide, même les arbres, habituellement si majestueux, immuables, symboles d’éternités, dépérissaient ici depuis bien de longues années… Quel espoir pouvait-il bien avoir pour sa famille, si même le lieu le plus reculé de l’univers portait à ce point la plaie suppurante de la violence ? Le monde entier n’était donc que souffrance, meurtre, et saccage. Jamais il ne connaîtrait la paix, sa fille à naître ne pourrait jamais éviter une vie aussi triste que celle de son homologue du futur, venue d’un avenir ravagé, et que ce soit par lui ne change rien à la réalité… Les hommes, les femmes, Beorcs et Laguz…tous ne sont régis que par une seule et unique loi : Détruire. Toujours plus, sans jamais se satisfaire de cette annihilation permanente de toute forme de vie et de bonheur, il faut toujours détruire, toujours plus.

 Cette fois il lâcha la bride à sa rage, et se tourna au ciel noir des nuages du Chaos lui hurla sa haine, son désespoir, dans un seul et unique mot qui suffit à traduire tout ce qui brûlait en lui, toute l’incompréhension qui le désolait, toute la souffrance qui le déchirait, et il le hurla, jusqu’à vider ses poumons de tout leur air.


« Pourquoi !? »

 Ses yeux écarlates scintillèrent alors qu’il rugissait face au néant. Cette seule question ne connut jamais de réponse, et le vent lui-même se fit muet alors que la pluie continuait à tomber, indifférente à sa colère, à la meurtrissure de son cœur, et à la mort qui avait déjà apposé sa marque jusqu’à ces contrées oubliées. Puis sa fureur retomba, comme lentement effacée par l’eau chutant de ces cieux insensibles, et la lueur qui brillait alors depuis toujours dans ses pupilles flamboyantes, ses yeux où brûlait la couleur de la vie, mourut sans un bruit. Seule, abandonnée par tous, au milieu de l’enfer. Il se laissa tomber en arrière, privé de tout espoir, de tout avenir, et libéra son corps si torturé du supplice de ses ordres permanents.

 Kerorian était seul. Perdu dans le royaume que tous craignent, mais qu’ils fréquentent déjà, car il est la création des Hommes. Le royaume de la mort. Il resta là, sans même envisager de se relever, à regarder les nuages interminables se déverser depuis plus haut que les plus hautes montagnes, entouré de ruines que même les ronces n’osaient approcher, étalé dans ce qui aurait pu être autrefois la preuve de vie de quelqu’un, peut-être d’un enfant au sourire radieux et au rire innocent, ou alors d’un père, bienveillant et rassurant sa petite progénitures lorsqu’un gros orage lui ferait peur…mais qui n’était plus que la preuve qu’il y avait eu quelque chose ici. Quelque chose de maintenant disparu. Disparu…le Rôdeur tourna la tête d’un côté, puis de l’autre, et remarqua qu’il n’y avait réellement rien. Aucun cadavre, pas le moindre squelette. Que s’était-il passé ? Leurs meurtriers auraient-ils emportés leur macabre trophée pour leur infliger une ultime offense ? Ou bien les charognards étaient venus festoyer, uniques vainqueurs de la folie de l’humanité ? A vrai dire il s’en fichait bien désormais… Ce monde était pourri, condamné. Un charnier à venir, un cimetière déjà rempli, il ne trouverait jamais aucun foyer sur cette terre, ni dans ce pays, ni dans un autre, même les autres continents, si un seul autre pouvait avoir survécu au cataclysme, ne seraient jamais un lieu d’accueil…

 Le voyageur se redressa, le cœur cognant au ralenti et fixant le vide, comme si ses yeux voyaient au-delà de la pierre et des ténèbres, il n’y avait rien à sauver ici. Rien à espérer, rien à tenter. Tout était voué à être détruit, tué, déshonoré. Ce monde était celui qu’il connaissait. Un monde de douleur, de crimes, et d’espoirs brisés. Mais il y en avait sûrement un autre, au-delà de la vie et de la chair, un monde où la violence ne pourrait exister. Il sortit de quoi dessiner une dernière fois, la dernière page de son livre, la dernière page de son histoire.
Il referma son épais récit, et en caressa distraitement la couverture. Il se sentit proche d’elle, usée, fatiguée, et arrivé au bout. Le Rôdeur rangea son ouvrage, puis se releva, et sans un seul regard de plus pour cet univers de cauchemar retourna sur ses pas, une idée en tête, sa dernière. Son cœur battait silencieusement, envoyant le sang si précieux se glisser à travers les veines sans se faire remarquer, comme pour se faire oublier, comme pour faire oublier la vie qu’il venait d’abandonner.
Il savait ce qu’il avait à faire, un dernier acte, son dernier geste.

Kerorian était mort. Mais il se jura d’épargner aux siens le supplice d’une vie condamnée à la peur et à la souffrance.

Il devait les tuer.
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R. Dayn Dragon
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MessageSujet: Re: La Voie des Ténèbres. [CDC : Kerorian]   La Voie des Ténèbres. [CDC : Kerorian] I_icon_minitimeLun 28 Oct - 16:44

Note: 18.5/20

Le thème est respecté, les tournures de phrases grandiloquentes. J'ai beaucoup aimé mais je manque de temps pour te faire une description complète. Si tu le souhaite je m'en occuperais quand je le pourrais (mais ça ne sera pas ma priorité).

Bien joué, tu es classe II. Tu peux mettre ta fiche à jour.
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