Un jour comme un autre, un ciel azuré avec quelques nuages cotonneux apparaissait à travers le feuillage clairsemé de l'épaisse forêt de Gallia, faisait naître des rais de lumière dans son atmosphère épaisse au milieu des fougères, des branches noueuses et des racines. A la périphérie du foyer des Félins se dressaient déjà de hauts arbres à l'écorce robuste, dissimulant des creux retors, des rochers instables ou d'accueillantes sources qui rafraîchissaient ceux qui venaient s'y abreuver.

Voilà qui ferait parfaitement son affaire, se disait un vieil homme solitaire. Le soleil commençait à être haut dans le ciel, alors il se mit à l'abri sous les larges feuilles de la jungle, la faim menaçait de pointer le bout de son nez, aussi l'ancêtre choisit de tromper son ennui et de satisfaire son estomac grincheux en changeant son menu habituel. Déplaçant aisément sa carcasse aussi âgée qu'agile, le Marqué barbu ramassa par-ci, par-là de quoi se bricoler une canne à pêche.
Face à son œuvre, un sourcil épais se dressa avec circonspection. Le doute laissa finalement place à l'hilarité et le vieux Daeroth se demanda s'il comptait réellement manger le fruit de son travail ou s'il espérait juste tuer le temps en laissant tremper un bout de truc dans l'eau, comme le font tous les vieillards.

Tranquillement, l'ancêtre débarrassa un petit coin au bord de l'eau. Il frotta un peu le sol pour en dégager cailloux, branchages et feuilles, déposa son sac à portée de main, retira ses vieilles chaussures qu'il déposa à ses côtés, puis lança sa ligne dans l'eau. Il s'écoula quelques minutes avant qu'il ne cède à l'envie de laisser ses pieds tremper dans l'eau. Ouh que c'était frais, "un peu de fraîcheur dans ce monde de tempérés" en quelques sortes... Agnan se retint de rire, de crainte de faire fuir les poissons.

Combien de temps il s'écoula, le vieux Marqué n'aurait su le dire. En fait il s'en moquait, il était trop vieux pour se soucier du temps qui passait, et il déjà fort habitué à la méditation, la pêche n'en était qu'une distrayante variante... Cela lui plaisait de rester ainsi, il était bien. Le fond de l'air, à proximité de la source, était frais. Le soleil brillait suffisamment pour rendre le temps agréable, et le bruissement délicat des feuilles sous le passage d'un vent doux était une subtile mélodie dont il savourait chaque note.
Sous ses sourcils broussailleux, ses yeux se fermèrent doucement. Il ignorait si son bricolage improvisé parviendrait à prendre quelque chose, et il s'en moquait bien. Son sac recelait suffisamment de nourriture pour qu'il n'ait pas à s'inquiéter de ce genre de chose, lui laissant le plein loisir de profiter d'un petit instant de tranquillité, d'un loisir paisible...bon, peut-être un peu moins pour les poissons, mais aurait-il vraiment pitié pour une créature qui mordrait à un tel hameçon ?

A vrai dire, la petite Khar'a n'était pas tranquille de se retrouver à Gallia. Elle craignait que sa mère ne cherche à la retenir si elle tombait dessus, ou que d'autres félins, mis au courant de sa fugue, ne décident de l'attraper pour la ramener chez elle. Mais après un an, elle s'était dit qu'elle avait envie de revoir les forêts de son pays natale qui lui manquaient... Sous sa forme féline, elle déambulait dans les bois, se réjouissant de revoir Gallia, en particulier en cette saison où les arbres étaient verts et l'air empli de fraîcheur.

Mais pour l'instant, elle avait tellement faiiiim ! Le ventre de la pauvre Laguz criait famine, et elle se disait qu'elle allait bientôt devoir s'arrêter pour chasser du gibier... Elle allait s'y atteler lorsqu'elle entendit le bruit d'une rivière non loin. La perspective d'une eau claire dans laquelle nageaient probablement des milliers de poissons lui fit venir l'eau à la bouche, aussi décida-t-elle d'aller voir si elle pouvait assommer un poisson ou deux pour les manger. Elle s'approcha du cours d'eau d'un pas feutré, la queue relevée, les épaules voutées, en position de chasse. Mais lorsqu'elle arriva près de la rivière, elle se figea net, dissimulée dans un buisson.

Quelle idiote ! Elle avait été tellement obnubilée par la pensée d'un bon repas qu'elle n'avait même pas senti la présence d'un humain sur les terres de son peuple ! Pourtant, ils avaient une odeur bien différente de celle des Laguz... La féline se ramassa dans son buisson, ses yeux fendus fixés sur la silhouette du vieillard qui tenait une canne à pêche de fortune entre les mains. Il pêchait... Et alors la, un affreux dilemme se posa à la redoutable chasseresse.

Devait-elle s'approcher de lui pour lui réclamer du poisson, ou l'observer de loin et attendre qu'il s'en aille pour le chasser elle-même ? C'était une excellente occasion d'en savoir plus sur les humains, mais en même temps elle avait peur... Et s'il se montrait aussi cruel que ses semblables ? S'il décidait de l'attaquer en voyant qu'elle était une Laguz ? Elle avança la patte comme pour sortir du buisson, mais elle retint son geste au dernier moment, indécise. Ce qu'elle ne réalisait certainement pas, c'était que sa longue queue dépassait du buisson, que le bout de ses oreilles faisaient de même et que ses yeux de rubis brillaient sous le couvert des feuillages... Andouille va.

Le temps passait paisiblement. Une douce brise fit décoller une petite feuille qui virevolta lentement dans les airs avant de se poser sur la surface de l'eau, la troublant d'une petite onde. Les yeux clos, Agnan était dans un état semi-méditatif, l'esprit et le corps relâché mais attentif au moindre mouvement, au plus petit clapotement dans l'eau, aux craquements d'une petite branche loin de là. Le vent faisait se balancer légèrement sa canne à pêche improvisée, ce qui ne semblait pas perturber les poissons qui ne paraissaient pas pour autant s'intéresser à son hameçon.

Et puis il sentit une présence. Talent d'un vieux maître, vigilance exacerbée ou bien un simple bruit inhabituel, peu importait la raison. Quelque chose s'était approché. Sans se presser plus que ça, l'ancêtre rouvrit les yeux et tourna la tête vers l'origine du sentiment. Ses sourcils broussailleux se levèrent un peu lorsqu'il aperçut ce qui était très certainement un Laguz, qui tentait - seulement tentait - de se cacher un peu plus loin dans un buisson. Probablement un jeunot, se dit le Marqué alors qu'il distinguait clairement une longue queue s'agiter hors de la cachette du fauve en herbe, ainsi qu'une paire d'oreilles et d'yeux brillants.

Le vieil homme hésita, devait-il feindre de n'avoir rien vu et reprendre sa partie de pêche solitaire pour ne pas vexer le changeforme, ou bien était-il plus amusant d'avoir un peu de compagnie et de prévenir le petit chasseur que son camouflage laissait à désirer ? Le vieux Daeroth estima que le Laguz devait se méfier de lui, car il avait l'air d'un Beorc, et qu'il était donc encore enfermé dans les vieilles haines...c'était alors de son devoir de l'en libérer. Agnan leva une main maigrichonne en direction des broussailles où se terrait un félin mal dissimulé et fit signe d'approcher.

"Approches, mon jeune ami."

Il adressa un sourire sous sa barbe au fauve. Il est vrai qu'en général il s'occupait plutôt du racisme qui survivait parmi les Beorcs, ou même chez ses congénères Marqués, mais que les rancunes ancestrales existaient également du côté des Laguz... Avec un peu de chance, il pourrait délivrer ce petit minou du cycle infernal. Voilà qui placerait véritablement et définitivement sa journée sous un beau signe. Bon, après c'est qu'à son âge, il ne se donnait plus la peine de considérer qu'une journée pouvait être mauvaise...

"Je suis ici pour manger des poissons, pas des Laguz."

Le vieux Daeroth aurait volontiers proposé de partager le fruit de sa pêche, mais encore aurait-il fallu que son bricolage parvienne à attraper quelque chose...mais cela ne changera rien au fait qu'il n'était pas là pour croquer du matou.

Alors que la féline hésitait, se triturait les méninges à la recherche de la meilleur solution, elle sentit le regard du vieillard se poser sur le buisson où elle avait trouvé refuge. Elle se figea instantanément de peur de se faire repérer, se retenant de feuler car le regard de l'humain se faisait un peu trop insistant.

- Approches, mon jeune ami.

Et voila, elle était faite ! Elle se ramassa sur elle-même, prête à bondir pour s'enfuir s'il essayait d'approcher. Cela dit, elle avait une impression bizarre... Peut-être à cause du sourire du vieil homme, ou encore parce-qu'elle ne ressentait aucune agressivité en lui ? Enfin, une certaine histoire de sucette l'empêchait de se fier totalement à son impression...

- Je suis ici pour manger des poissons, pas des Laguz.

A la pensée du poisson frétillant, toute forme de réflexion quitta l'esprit de la jeune Laguz qui, oubliant toute prudence, sortit de son buisson en laissant la nature faire son œuvre. Reprenant sa forme humaine, elle approcha du bord de son coté de la rivière avec des yeux brillants, fixant la ligne de la canne à pêche avec des yeux brillants et affamés.

- Tu me donne du poisson ?

Sa queue remuait avec excitation derrière elle. Elle sauta souplement de l'autre côté du cours d'eau avec une rare souplesse et approcha encore de quelques pas de l'humain avant de réaliser ce qu'elle était en train de faire. Terrorisée de voir un humain d'aussi prêt, elle bondit en arrière et s'accrocha au tronc de l'arbre le plus proche en poussant un feulement apeuré. Une certaine histoire de mec avec des sucreries que lui racontait sa mère quand elle était... plus gosse encore que maintenant. Elle grimpa sur une des branches basse de l'arbre et se ramassa dessus, les oreilles plaquées sur le crâne et la queue ébouriffée.

Le vieillard vit sortir suite à son invitation une jolie jeune chatte du fameux buisson. Le fait qu'elle reprenne forme humaine, et s'approche ainsi de lui confirmait pour de bon sa jeunesse et son innocence. Agnan aurait été prêt à parier qu'elle était sortie de sa *ahem* cachette car il avait parlé de poisson. Le regard de rubis de la jeune féline semblait d'ailleurs briller d'appétit. Cela le fit d'autant plus sourire. Quelle que soit l'époque, le lieu ou la situation, les estomacs réunissaient toujours tous les voyageurs.

Il lui fallut cependant une bonne dose de discipline pour ne pas éclater de son fameux rire lorsqu'elle lui demanda du poisson. Son vieux flair avait encore une fois vu juste. Il s'apprêta à lui répondre que cela serait avec plaisir, si tant est que son outil improvisé parvienne à attraper quoi que ce soit, quand subitement la féline, qui était maintenant toute proche, passa de l'impatience affamée à la terreur la plus paniquée avant de s'enfuir dans un arbre en feulant de toutes ses forces, toute ébouriffée face à un vieillard qui la regarda se percher à une branche basse avec des yeux surpris. L'est complètement maboule en fait ?

"Du calme ma fille, je ne suis qu'un vieillard qui essaye de pêcher !"

Au cours de sa vie, il avait croisé bien des Laguz...des guerriers féroces, des félins véloces, des fauves obstinés ou bien de simples bêtes apeurées, recroquevillées face à leur destin, mais il n'avait pas souvenir d'avoir déjà rencontré une telle créature, si lunatique et déjantée...à part peut-être ce petit chat, quand il était encore jeune, qui venait quelques fois réclamer un peu de viande au pas d'une porte. C'est cela, cette Laguz lui rappelait ce petit animal qui passait du ronronnement le plus heureux à la terreur la plus incompréhensible.

Résolu à ne pas se laisser démonter par cet...imprévu, ni à laisser la malheureuse perchée sur son arbre - en espérant qu'elle sache en descendre contrairement au petit carnivore domestique précédemment nommé - le vieillard posa sa canne à pêche et fouilla dans son sac. A défaut de lui servir un saumon tout frétillant, si tant est qu'il s'agissait de saumon dans cette source, il pouvait au moins lui proposer un peu de ses rations de voyages. Il sortit donc deux tranches fines de viande séchée au parfum caractéristique et les tendit vers l'animal lunatique.

"Et je suis bien trop vieux pour te courir après, alors descends donc ! A défaut d'un poisson, j'ai un peu de viande pour toi."

En vérité, et cela l'amusait encore à son âge d'y songer, il aurait certainement aisément pu grimper dans les arbres sans même se fatiguer. Certainement pas la suivre, elle était très probablement trop rapide pour ses vieux os, mais il était plus distrayant de se présenter comme un vieillard peu motivé...bof, après tout en fait c'était un peu ce qu'il était au final. Ah, ce n'est pas forcément triste de vieillir, vous savez ? 'Y sont trop cons des fois les jeunots, y'a qu'à voir la p'tite rouquine juste là d'ailleurs. Pfou, il préfère se prélasser au bord de l'eau avec sa pseudo canne à pêche que crapahuter là-haut tiens.

- Du calme ma fille, je ne suis qu'un vieillard qui essaye de pêcher !

Mouais... C'était précisément ce qu'aurait dit quelqu'un souhaitant lui faire du mal ! Méfiante, la féline cessa néanmoins de feuler mais elle plissa les yeux en examinant le vieillard de toutes ses forces, essayant de déterminer si elle pouvait lui faire confiance ou pas. Il était petit et chétif, mais elle était encore plus petite que lui. Et puis il avait l'air de ne pas avoir de mal à bouger, comme n'importe quel autre vieux... Sans compter qu'il avait quand-même le cran de se balader seul à Gallia, contrairement aux autres vieillards humains qui avaient à peine la force de sortir de leur jardin !

- Et je suis bien trop vieux pour te courir après, alors descends donc ! A défaut d'un poisson, j'ai un peu de viande pour toi.

A la vue de la viande séchée, l'estomac de la Laguz recommença à gronder. Ses traits se tordirent brièvement avant qu'elle ne retrouve son expression méfiante. Il fallait absolument qu'elle mange, et cette viande lui faisait tellement envie... Mais en même temps, ça lui faisait penser à quand elle avait vu des Beorc apprivoiser des chats, et elle n'avait pas du tout envie de se faire apprivoiser ! Finalement, elle sauta de sa branche pour atterrir souplement sur l'herbe, puis elle bondit à nouveau et chaparda le morceau de viande dans la main du vieil homme avant de reculer en quelques bonds en fourrant la lanière de viande entre ses crocs. Le gout salé ravit ses papilles, et elle en eut des étoiles dans les yeux. Elle mâchouilla un instant la viande avec un air de pure adoration, puis elle se dit que quand-même, il lui avait filé un bout à manger, elle pouvait au moins le remercier... A défaut de lui faire confiance.

- Merci... Même si j'aurais préféré du poisson.

Sur ces mots, elle acheva de manger la viande séchée et se lécha les doigts pour le rien perdre du sel et du gout de la viande, puis elle commença à loucher alternativement sur la rivière et sur le vieil homme.

Le vieillard regarda la jeune féline se déplacer de bond en bond depuis son arbre pour chaparder le bout de viande qu'il lui tendait et s'enfuir aussi sec un peu plus loin pour dévorer son fabuleux butin avec un plaisir non dissimulé. Agnan avait passé l'âge de s'inquiéter ou de mal considérer l'insouciance de la jeunesse, aussi il se satisfit de sourire face à l'appétit vorace de la Laguz qui en vint même à le remercier, bien qu'elle précisa qu'elle aurait préféré du poisson. Ses yeux âgés n'avaient rien perdu de leur acuité et il ne leur échappa pas que la jeune féline ne cessait de regarder de la rivière jusqu'à lui. Il répondit à son interrogation silencieuse en riant de bon cœur.

"Désolé pour toi ma fille, mais je crains fort que je n'attrape pas grand chose."

Évidemment qu'un poisson tout frais, encore frétillant, aurait été bien meilleur qu'un vulgaire morceau de viande séchée. Mais encore aurait-il fallu l'attraper. En guise d'excuses pour cette piètre performance, puisque sa canne improvisée demeurait aussi inerte qu'un...vulgaire bout de bois avec une ficelle, le vieillard lui tendit un deuxième morceau de viande séchée. Il pouvait largement se permettre de partager son repas, un vieil ascète comme lui ho...

"Remplis toi donc autant la panse que tu ne le peux avec ça, et racontes au Papy Daeroth ce que t u fais par ici petite."

Bien sûr, c'était une question absurde. Demander à un félin ce qu'il faisait chez les félins...ridicule non ? Mais le vieil homme s'en moquait, ce qui l'intéressait, c'était les individus, leur façon de vivre, de penser...bref, tous ces petits trucs qui faisaient un peuple.

- Désolé pour toi ma fille, mais je crains fort que je n'attrape pas grand chose.

A ces mots, la féline se sentit incroyablement déçue. L'eau coulait à quelques mètres à peine, et elle grouillait de poissons... Alors pourquoi il n'arrivait à rien ? Il ne devait pas posséder de bons instincts de chasseur tout simplement. Après tout, il n'était pas compliqué d'assommer un poisson d'un coup de pattes pour l'envoyer voler sur la berge... Elle le regarda néanmoins fouiller son sac pour en sortir encore de la viande séchée et la lui tendre.

- Remplis toi donc autant la panse que tu ne le peux avec ça, et racontes au Papy Daeroth ce que tu fais par ici petite.

La jeune fille secoua la tête. Bon, elle devait venir en aide à ce pauvre humain incapable d'attraper son propre poisson. Il n'avait pas l'air méchant, et puis il était vieux, il ne devait pas être très dangereux... Elle s'écarta d'encore quelques pas, puis elle prit sa forme féline et se tourna vers le cours d'eau. Les oreilles dressées, à l'affut du moindre mouvement du vieux, elle guetta le cours d'eau un long moment jusqu'à-ce que le soleil se reflète sur les écailles d'un gros poisson passant près de la surface. Dans un bond parfaitement silencieux, elle sauta dans l'eau, donna un énorme coup de patte au poisson et l'envoya voler sur la berge où il sautilla quelques fois avant de tomber inerte dans l'herbe. Le poil trempé, la féline se hissa ensuite sur la berge et s'ébroua violemment avant de prendre le poisson entre ses dents. Les oreilles toujours aussi dressées, elle s'approcha du vieillard et, à cinq bons pas de lui, elle déposa sa prise avant de reculer à nouveau d'un ou deux pas.

Ce ne fut qu'une fois à bonne distance qu'elle reprit sa forme humaine, fixant son regard de rubis dans celui de l'humain, le considérant toujours avec méfiance.

- La moitié de ce poisson est à moi.

La laguz refusa étonnamment le bout de viande que lui tendait le vieil homme, marquant ainsi la différence entre ceux qu'on appelait autrefois (et encore maintenant, hélas) les sous-humains, et de simples animaux. Un chat à demi sauvage aurait à nouveau pris la viande séchée, comme elle l'avait elle-même fait juste avant. A la place, le vieux Daeroth la regarda s'éloigner encore un peu pour reprendre sa forme animale, trouvant aussi curieux qu'intéressant qu'une Laguz rousse devienne un chat noir, avant de se mettre à guetter la rivière.

Prenant un morceau de sa ration pour ne pas l'avoir sortie pour rien, Agnan regarda avec attention le spectacle naturellement merveilleux de la chasse, la concentration de la peluche géante qui devenait brusquement fort sage, en parfait contraste avec ce qui semblait être son caractère naturel, et garda la pose. Sa canne dans une main, le reste de sa viande dans l'autre, le vieux Marqué ne fit pas plus de mouvement que la féline qui, après un bon moment de silence, bondit soudainement dans l'eau et envoya voler un poisson sur la berge. Cela faisait le fit sourire, la vision d'un Laguz en chasse est un privilège rare pour un Beorc, et accessoirement pour l'un des siens.

Et pour couronner le tout, la gentille féline s'ébroua de bon coeur avant de lui ramener sa fabuleuse prise, la déposant à quelques pas de lui avant de s'éloigner encore. Méfiante mais curieuse hein, un vrai petit matou se dit Agnan en souriant de plus belle dans sa barbe.

- La moitié de ce poisson est à moi.

Ses yeux âgés n'ayant rien perdu de leur éclat d'antan fixaient intensément ceux de la Laguz, sans aucune malveillance. La jeune chatte n'osait pas l'approcher, ce qui sous-entendait qu'elle craignait les Beorcs...pour ne pas dire les humains, ce qui laissait penser le vieil homme qu'elle n'en avait pas réellement approché jusqu'ici. Si elle avait rencontré des "bons" Beorcs, elle ne serait pas aussi méfiante, et si elle en avait rencontré des "mauvais", la féline ne serait certainement pas allé lui chercher un poisson. Vraiment très intéressant...

"Hoho, quelle brave petite tu fais !"

Oui, quelle brave petite. Estimer l'âge d'un Laguz est toujours assez compliqué, même pour un vieillard comme lui, mais Agnan ne lui donnait pas plus que la majorité chez les Beorcs. Sans doute même moins...le fameux âge où les uns comme les autres sont très influençables. Le fameux âge où il peut intervenir pour changer les mœurs et espérer faire disparaître, ou au moins réduire significativement les haines et les rancunes.
Toujours aussi souriant, le Marqué coinça sa canne à pêche sous sa cuisse et se passa les doigts dans la barbe. Une habitude qu'il s'était amusé à prendre, lorsqu'il commençait à se faire vieux.

"Hélas, je crains que mon vieil estomac ne puisse supporter un poisson crû, contrairement à ton jeune et vorace ventre."

Il n'attendait pas qu'une Laguz fasse du feu, en particulier pour un humain dont elle se méfiait, et aussi endurci qu'il soit, Agnan ne tenait pas à dévorer un demi-poisson sans aucune préparation. Ce n'était plus de son âge des choses pareilles enfin ! A la place, il leva le bout de viande qu'il tenait encore à la main.

"Mais ne t'en fais donc pas pour moi ma fille, je ne pêchais pas en espérant vraiment me nourrir. Quoiqu'il en soit, ce poisson t'appartient tout entier ! Tu l'as bien mérité."

Si elle était aussi affamée ou gourmande qu'il ne le pensait, la féline devrait être fort enjouée de cette nouvelle et le vieux Daeroth comptait bien sur leur repas commun pour briser un peu la glace.

A l'annonce de la totale jouissance de son poisson, la féline sentit à nouveau l'eau lui monter à la bouche. Le vieillard ne voulait pas en prendre, elle l'avait donc pour elle toute seule ! Nyah ! Sans se faire prier plus que ça, elle sauta sur le poisson, le prit entre ses canines et recula à nouveau de quelques pas souples. Une fois à bonne distance de l'humain, elle laissa tomber sa prise entre ses mains et les yeux brillants, elle entreprit de dépiauter soigneusement son trophée, enlevant la peau sans enlever le moindre gramme de la chair rose et tendre du poisson. Puis, délicatement, elle arracha des lamelles de viande au pauvre animal pour les enfourner avec un délice évident, les yeux brillants, les oreilles dansant littéralement sur son crâne, sa queue remuant derrière elle, agitant le grelot qui y était accroché dans un tintement clair et pur. Ses narines, sa bouche et ses yeux étaient tellement pleins du poisson qu'elle avait totalement oublié la présence de l'humain.

Lorsqu'enfin elle finit son poisson, elle se souvint qu'il était près d'elle et, la queue de son repas encore entre les doigts, elle braqua son regard de rubis sur l'humain. Pourquoi n'avait-il pas bougé pour l'attaquer et profiter de sa distraction ? De plus en plis intriguée, méfiante, elle examina plus avant le vieille homme. En dehors de sa canne à pêche artisanale, il ne possédait aucune arme. Si, peut-être sa barbe... Mais elle doutait sérieusement que cette pilosité puisse servir réellement dans un combat.

- Pourquoi est-ce que tu n'essaye pas de me tuer ou de me torturer, ou de faire de moi un truc sans cerveau ?

Après tout, autant se montrer franche. Elle voulait des réponse, et elle ne comprenait pas ce qui se passait. Il lui offrait de la viande sans essayer de lui faire du mal, alors que sa mère lui avait raconté des horreurs sur les humains. Elle ne savait plus que croire... N'étais-ce d'ailleurs pas la raison qui l'avait poussée à entreprendre ce voyage ? Mais elle avait peur des réponses qu'elle allait trouver... Car si sa mère avait raison, les humains étaient vraiment des êtres horribles. Mais si ils étaient meilleurs que ce qu'elle croyait... Alors cela voulait dire que sa mère vivait dans l'erreur, et elle avait du mal à se faire à cette idée...

Imperturbable, Agnan regarda la jeune chatte, les yeux brillants de bonheur, dévorer sans autre forme de procès son miraculeux trophée. Au moins faisait-elle honneur à la réputation de gros mangeur de son peuple, mais bon sang, quelle énergie pour manger ! Pfiou, il en était fatigué rien que de la regarder.
Il guetta cependant avec attention la fin de son épuisant repas, attentif à ses réactions en particulier…et ça ne manqua pas. Comme ce qui semblait être une habitude chez elle, la féline péta à nouveau un câble et bondit, fit le gros dos, bref… Un chat qui essaye de faire peur. L'est complètement folle cette petite en fait. Cependant elle eut la bonne idée de lui demander pourquoi est-ce qu'il ne faisait rien, ne tentait rien. Gentiment, il lui sourit et ne fit même pas mine de changer de place…après tout ho, il était bien installé là ! Il y est, il y reste !
En revanche son insouciance s'envola lorsqu'elle évoqua ses craintes. Pas bon ça…pas bon du tout. Si elle faisait bien référence à ce qu'il craignait, ça expliquait beaucoup de choses… Il soupira.

"Tous les Beorcs et Marqués ne sont pas forcément mauvais ma fille, tous comme les Laguz ne sont pas tous de braves gens."

Si en majorité, c'était des êtres simples, directs et honorables, quelques-uns se faisaient un sinistre plaisir à s'en prendre aux plus faibles et à piller et tuer. Dans sa longue vie, il avait eu l'occasion d'en voir, et d'en occire par la même occasion. Mais cela, c'était à une autre époque…ce n'est pas d'entendre cela qui aidera cette petite à changer, à se défaire de cette terreur tristement justifiée.

"Les Humains ont fait des choses vraiment horribles par le passé…cela est vrai. Certains le font certainement encore aujourd'hui, en secret, cachés de leurs propres frères… Mais il y en a également beaucoup, bien plus, qui essayent de réparer leurs anciennes erreurs."

Qu'ils réparent les leurs, ou celles de leurs ancêtres, cela ne changerait rien au fait qu'ils œuvraient aujourd'hui, avec Beorcs et Laguz, comme un seul peuple commun…en général. D'autres espéraient racheter leurs crimes en aidant deux fois plus de vies qu'ils n'en avaient prises…

"Par exemple, regardes le héros Ike, ou même regarde Criméa ! Ce sont vos voisins, et aujourd'hui Laguz et Beorcs s'y promènent main dans la main, métaphoriquement ou non. J'ai même entendu dire qu'il y avait parfois des amours qui naissaient en dépit de leurs différences ! Il y a des horreurs, c'est vrai…mais ce n'est qu'une poignée de mauvais êtres. Je suis désolé de ce qui a du t'arriver, mais tu ne devrais pas rester haineuse envers les humains, ou bien tu t'attireras toi-même leur haine…"

Les différences entre les deux races "normales" étaient encore présentes, et cela semblait déjà assez compliqué comme ça pour elle sans qu'il n'essaye en plus de lui parler des Marqués plus en profondeur. Après tout, si jamais elle apprend à s'ouvrir pour les Beorcs, elle devrait le faire d'elle-même pour ses pairs…

La féline écouta les explications de l'humain avec une attention non feinte. Selon lui, les humains étaient effectivement coupables, ou du moins l'avaient étés, et il avait parlé d'humains qui étaient différents d'autres humains, un peu comme certains Laguz étaient différents d'autres Laguz... Le concept avait quelque chose d'étrange pour Khar'a, et elle dut méditer un instant sur les révélations du vieillard.

- Je ne suis pas haineuse...

Elle boudait presque quad elle avait dit cela, les joues gonflées, les yeux plissés par la contrariété. Effectivement, elle ne haïssait pas réellement les humains, elle avait pu constater, depuis qu'elle était partie de chez elle et même avant, que certains étaient gentils... du moins entre eux. Mais ce vieux était sans doute le premier dont elle s'approchait réellement, et elle état étonnée qu'il ne l'ait pas attaquée. Elle se demandait s'il était réellement possible à des humains et des Laguz de vivre ensembles, en paix.

- A vrai dire, je suis partie de chez moi pour mieux connaitre les humains, parce-que ma mère dit tout le temps qu'ils sont horribles. Elle a vu mon père se faire tuer par mon peuple car il s'était fait laver le cerveau, vous savez...

La jeune femme n'avait jamais connu son père, mais évoquer le sujet était douloureux pour elle. Déjà parce-qu cela avait signifié qu'elle n'avait jamais connu son paternel, mais aussi parce-que cela avait rendu sa mère très triste et aigrie, et qu'elle n'aimait pas voir les personnes qu'elle aimait dans un tel état. Elle se souvenait que sa mère avait pleuré le jour où elle lui avait enfin avoué ce secret familiale.

- Certains jeunes de mon village revenaient souvent blessés car ils avaient étés attaqués par des humains qui ne nous aiment pas... Mais je ne crois pas que personne ait jamais attaqué d'humain dans mon village.

Bon un village, ce n'est pas le monde hein, mais elle avait du mal à croire à l'existence de mauvais Laguz. Et honnêtement, elle ne souhaitait pas en rencontrer.

Le vieux Daeroth écouta attentivement la réponse de la jeune chatte, se passant les doigts dans la barbe à mesure qu'elle lui répondait. Elle disait ne pas être haineuse, puis expliquait ce qu'elle faisait, si loin des habituels rassemblements de Laguz et surtout si jeune. Et alors que la féline lui parlait, Agnan pensa comprendre où était le problème. Son père - tué à cause d'un lavage de cerveau - avait du être capturé, à l'époque des guerres, et transformer en machine à tuer, en "Sauvage" par ces soi-disant scientifiques. Il comprenait mieux sa crainte toute naturelle pour les humains maintenant. La petite Laguz ajouta aussi que parfois, les jeunes de son village - probablement que les plus anciens ne sortaient plus - revenaient blessés par des humains. Sans doute avait-elle vécu dans une zone un peu reculé et mal fréquentée par ceux qui refusaient de suivre les idéaux Criméens.

Quand la chatte eut fini de parler, le vieux Marqué laissa le silence s'installer lentement, continuant à jouer avec sa barbichette. Très mauvaises expériences, très grosse malchance pour sûr...pourtant il la croyait, quand elle disait ne pas être haineuse. Les félins sont curieux de natures, et celle-ci semblait l'être tout particulièrement. En plus d'être doublé d'une gentillesse certaine ! Après tout, elle craint les humains, mais était pourtant prête à l'aider en lui offrant un demi-poisson qu'elle aurait elle-même pêché car lui n'y arrivait pas. Il sourit doucement en songeant que la jeune féline était très prometteuse... Son sourire s'effaça, il ne fallait pas qu'elle prenne mal quoique ce soit. La Laguz paraissait trop...nerveuse pour risquer de l'offenser bêtement.

"Je suis désolé pour ton père...j'ai connu moi aussi, les conséquences de la folie. Les dégâts que cela peut causer..."

Il en avait été le principal instrument pendant bien longtemps. L'esprit troublé par des mensonges, et pires encore par des erreurs de jugement. Alors il se doutait de ce qu'elle pouvait ressentir. Après tout, on n'apprend pas à un vieux singe à faire la grimace ! 'Manquerait plus qu'il y ait des Laguz singes tiens...bonjour le proverbe. Le vieil homme posa sa canne à pêche et tendit doucement la main vers la jeune chatte, lui adressant cette fois-ci à elle, un sourire conciliant, le sourire d'un grand-père un peu gâteux qui raconte des belles histoires au coin du feu.

"Mais je suis très fier de toi que tu ai choisi la curiosité plutôt que la colère...que tu te sois tournée vers la rencontre plutôt que le rejet. Si plus de gens avaient été comme toi, cela ferait bien longtemps que Beorcs, Laguz et Marqués seraient des frères plutôt que des étrangers..."

Si durant les siècles précédents, les foules exhortant à la chasse aux animaux, à brûler vif les "différents", avaient été comme la jeune Laguz...alors le monde aurait été bien plus beau. Puis l'instant suivant, le vieillard s'imagina un monde peuplé entièrement de gens comme la féline. Et il faillit éclater de rire.

"Et cela ferait bien longtemps que plus rien ne tiendrait debout si tout le monde était aussi vigoureux que toi !"

Khar'a considéra un moment la main tendue du vieillard et, plus par réflex qu'autre chose, elle se pencha par dessus pour la renifler. C'est alors seulement qu'elle réalisa quelque chose. Qui avait une grande importance, bien qu'elle-même ne lui accorde pas cette importance pour la même raison que ses congénères. L'humain avait une odeur bizarre, il ne sentait pas l'humain. Alors que la vérité s'imposait à elle, elle écarquilla de plus en plus les yeux, puis elle les leva pour croiser le regard du vieillard.

- Mais... Vous êtes un marqué !

Pour elle, l'existence des Marqués n'avait rien de honteux ou de mal. Au contraire, ils étaient la preuve qu'un Laguz avait pu aimer suffisamment fort un humain pour être prêt à abandonner ses pouvoirs pour lui. C'était aussi une preuve qu'un humain avait aimé un Laguz. L'existence des marqués était la preuve qu'elle ne se trompait pas, et que les humains n'étaient pas tous foncièrement mauvais. Elle adressa un grand sourire au vieillard et s'en approcha un peu plus sereinement maintenant qu'elle savait tout ce qu'il représentait.

- C'est merveilleux ! Le Laguz était votre père ou votre mère ?

Elle voulait à présent en savoir plus sur l'étranger. Elle voulait qu'il lui raconte comment étaient ses parents, lequel était l'humain et en quoi il avait pu être gentil. Elle voulais également qu'il partage son expérience avec elle sur le monde des humains, car elle ne le connaissait pas assez. Et puis, il fallait aussi l'avouer, le faite qu'il possède du sang de Laguz la rassurait un peu. Elle savait que c'était tout à fait irrationnel, mais l'endoctrinement anti-humains qu'elle avait subie toute sa vie ne partirait pas ainsi, et elle faisait plus facilement confiance aux Laguz.

Il regarda la féline s'approcher et lui renifler la main, probablement un réflexe chez la jeune hybride psychologiquement instable. Et puis elle semblait avoir la révélation de sa courte vie, à voir ses yeux et son attitude.

Mais...vous êtes un marqué !

Les sourcils fatigués du vieillard se levèrent sans chercher à dissimuler sa surprise. Qu'elle connaisse à un si jeune âge l'existence des siens ne le surprenait pas vraiment, en revanche qu'elle paraisse émerveillée de réaliser son identité était une expérience inédite. Surtout de sa part, puisque sa mère semblait avoir voulu lui bourrer le crâne avec les mauvais côtés des Beorcs, qu'elle ne se mette pas à hurler à la mort ou même à l'attaquer était une véritablement très agréable surprise.

C'est merveilleux ! Le Laguz était votre père ou votre mère ?

Aie...le vieux Marqué s'autorisa une brève grimace face aux complications qui allaient survenir... Cette petite chatte était vraiment très prometteuse, de ne pas suivre bêtement l'avis des autres, de vouloir découvrir par soi-même, d'admirer ceux de son "espèce"...mais là, ça allait mal tourner. Alors, une vérité traumatisante ou un mensonge risqué ? S'il lui répondait, elle allait certainement poser d'autres questions...bah, il n'aura qu'à éviter celles où il ne peut pas répondre.

"C'était mon père. Je dois avouer être surpris que tu ne sois pas dégoûtée des Marqués, agréablement surpris cela va de soi. Tu iras loin dans la vie, petite."

Surtout dans le contexte actuel où les différences entre les espèces tendent petit à petit à être gommées, entre l'alliance entre Criméa et Gallia, l'impératrice Sanaki qui essaye de combattre la corruption et la traite d'esclave depuis son plus jeune âge et la reine de Daein dont la cour et elle même représentent un excellent mélange de la diversité de Tellus, cette petite Laguz devrait vraiment pouvoir faire une belle vie...si jamais il ne la traumatise pas. Va vraiment falloir la jouer fine mon vieux...

La Laguz souriait, sa queue remuant doucement derrière elle. Maintenant qu'elle savait ce qu'était son interlocuteur, il lui faisait bien moins peur, et elle se prit même à se sentir flattée du compliment qu'il venait de lui adresser. Elle voulait être une fille bien, et se l'entendre confirmer par une personne somme toute plutôt sympathique lui faisait très plaisir. Elle s'installa sur un rocher, s’asseyant dessus pour se mettre à l'aise, et elle pencha la tête sur le coté.

« Je sais que beaucoup de gens n'aiment pas les Marqués... »

Sa mère lui avait expliqué que lorsqu'un Laguz et un Beorc avaient un enfant, le Laguz perdait ses pouvoirs. Pour les Laguz, un marqué était une honte, une injure, car cela signifiait que l'un des leurs avait perdu ses pouvoirs. Pour les humains les choses étaient différentes. Ils n'aimaient pas les marqués car ils étaient moins que des hommes. ils étaient issus de ce qu'ils nommaient "sous-hommes". Mais Khar'a n'avais jamais considérés les choses de la sorte.

« Un enfant marqué, pour moi, c'est la preuve que les humains et les Laguz ne sont pas incompatibles, qu'il peut exister quelque chose entre les deux. Que les hommes peuvent aimer suffisament les Laguz pour braver les interdits de leurs coutumes et avoir des enfants avec eux. Qu'un Laguz peut être prêt à perdre ses pouvoirs pour avoir la joie de fonder une véritable famille. Je trouve ça beau... »

Ca faisait très gnan gnan oui... Mais c'était ainsi qu'elle pensait. Elle souriait au vieillard, elle n'envisageait pas que les choses aient pu se passer totalement autrement. Une vraie andouille sur un nuage de guimauve.

« Comment étaient vos parents ? »

Le vieux Daeroth écouta avec un grand sourire cachant bien sa toute aussi grande gêne la jeune féline raconter son avis sur les Marqués. C'était une très belle façon de pensée, assez juste aussi, dans la plupart des cas. C'était aussi là le "rêve princesse" de toutes les jeunes filles selon le vieillard. Une belle historie d'amour dramaturgique, qui défie les familles des deux amants avec des sacrifices et des difficultés à surmonter tout ça pour avoir une bande de marmots qui vous court dans les jambes... Ouaip, la chatte était une gamine. Et une gamine avec des yeux remplis d'étoiles roses.
C'était la merde. Et ça n'allait certainement pas s'arranger.

« Comment étaient vos parents ? »

Et voilà, forcément. LA question qui allait poser des problèmes... Agnan prit une mine songeuse, passant distraitement ses doigts dans sa barbe en fronçant ses sourcils broussailleux. S'il lui disait la vérité, elle resterait trauma pour au moins le siècle à venir...et ça en serait probablement foutu de tous ses beaux espoirs entre Laguz et Beorcs.

"Oh tu sais...avec l'âge, la mémoire n'est plus vraiment ce qu'elle était. C'était sans doute une histoire d'amour comme une autre, où ils se sont rencontrés en ennemis, avant de se découvrir au fil du temps, déposant les armes pour s'ouvrir leurs cœurs, se prenant l'un l'autre dans les bras... Ils ont probablement fui leurs familles d'ailleurs, sans doute désapprouvaient-elle cet amour interdit..."

Baratines-là, baratines-là, ça te fera gagner du temps. Avec un peu de chance, elle sera tellement émerveillée par ce récit de conte de fée qu'elle n'en demandera pas plus. Et puis dans le pire des cas, ou si au contraire elle s'intéresse de plus belle à lui, il avait toujours une carte dans sa manche. Mais...il craignait qu'elle ne devienne vraiment adorablement insupportable s'il lui racontait ça. Bah, si même après ça, elle trouve encore moyen d'enfoncer le clou, il usera de la ruse secrète du vieillard fatigué.

« Oh tu sais...avec l'âge, la mémoire n'est plus vraiment ce qu'elle était. C'était sans doute une histoire d'amour comme une autre, où ils se sont rencontrés en ennemis, avant de se découvrir au fil du temps, déposant les armes pour s'ouvrir leurs cœurs, se prenant l'un l'autre dans les bras... Ils ont probablement fui leurs familles d'ailleurs, sans doute désapprouvaient-elle cet amour interdit... »

La féline écoutait, fascinée, malgré cette impression dérangeante qu'elle était en train de se faire baratiner. Elle voulait bien que le vieillard fut bah... un vieillard, et marqué en plus donc plutôt très vieux, mais de la à ne plus se souvenir de l'histoire de ses parents... Elle fit la moue, se penchant un peu en avant. Mais alors qu'elle allait poser une nouvelle question pour demander des précisions, elle perdit l'équilibre et manqua se viander tête la première. Elle ne se rattrapa que grâce à une magnifique pirouette, pour un peu on aurait pu voir un jury lever les panneaux "10" et les tonnerres d'applaudissements lorsqu'elle se releva en riant de sa propre bourde. Elle remis de l'ordre dans ses tresses en reprenant la parole.

« Mais c'est pas possible d'oublier un truc comme ça... J'veux dire, c'est censé être vos parents non ? »

Il ne lui serait même pas venu à l'esprit de trouver cette histoire peu crédible en raison de sa condition de "conte de fée". Parce-que lorsqu'elle était enfant, il ne serait jamais venu à l'esprit de sa mère de lui raconter une histoire ou Beorcs et Laguz vivaient ensembles et heureux. L'histoire se serait forcément mal finit, et ca aurait été de la faute du beorc. Elle s'épousseta et retourna sur son rocher.

« Je crois pas qu'on puisse oublier ses parents, à moins de ne les avoir jamais connus... »

Elle baissa les yeux, la mine soudain sombre. Elle-même n'avait jamais connu son père, et cela l'attristait. D'autant que sa mère lui avait dit qu'il était un homme bien avant de devenir un légume...

Boudiou, mais c'est qu'elle est tenace la petite minette ! Pas moyen qu'elle lâche l'affaire, et ce n'est pas pour l'arranger, d'autant que la situation ne se prêtait pas très bien à faire semblant d'être fatigué. Et puis, il aimait bien discuter avec une gamine aussi prometteuse, elle paraissait déterminée, plutôt maligne et excessivement gentille...ne restait plus qu'à espérer que ça ne lui joue pas de mauvais tour dans les jours à venir.
Toujours serein, ayant de toute façon tout son temps devant lui, le vieillard regarda la p'tite chatte retourner se percher sur son rocher. Sa dernière réponse était particulièrement utile, notamment avec l'expression qui couvrit le visage de la Laguz. Très émotive en plus, rien d'étonnant pour son peuple et son âge en vérité. Le vieux Daeroth soupira d'un air fatigué, sans se défaire de son énigmatique sourire, reprenant encore plus doucement.

"Pas moyen de te faire rêver toi hein, tu as raison je ne les ai pas oubliés...seulement, tu dois comprendre que ça s'est passé il y a très très longtemps, à une époque où le mépris est devenu haine. Ma mère ne pouvait prendre le risque de vivre chez les Laguz, mon père ne pouvait prendre le risque de vivre chez les Beorcs...

Voyant la p'tite minette en train de déprimer, Agnan entreprit de se relever lentement, feignant même d'avoir mal au dos à cause de son grand âge, puis se rapprocha d'elle pour lui frotter doucement la tête, lui souriant de plus belle.

"L'important, c'est qu'ils se soient aimés, pas vrai ?"

Voilà qui conclurait une belle histoire, pensa le vieil homme en souriant de plus belle, en espérant que ça lui redonne un peu espoir de savoir que même à des époques bien plus sombres, l'amour pouvait déjà triompher de l'ignorance et de la différence.

La féline rentra sa tête dans ses épaules lorsqu'Agnan vint frotter ses cheveux. Elle souriait, mais elle ne put tout de même s'empêcher de passer la main dans ses cheveux pour les réarranger correctement et les démêler. Sa mère faisait ça aussi quand elle était enfant, alors elle avait l'habitude...

« L'important, c'est qu'ils se soient aimés, pas vrai ?
- Si. »

Elle adressa un immense sourire au vieille homme. Elle l'aimait bien, malgré sa crainte initiale... Il était gentil, et il lui inspirait un peu un effet de "papy gâteux" qu'elle appréciait beaucoup, elle qui n'avait connue que sa mère dans sa famille. Elle se leva et, prise d'une impulsion subite, vint lui faire un câlin plein d'exubérance pour le remercier d'avoir parlé avec elle et de lui avoir confirmé ce qu'elle pensait. Elle s'écarta ensuite de lui pour retourner s'asseoir, les joues légèrement colorées par la gêne de son geste spontané.

« Merci. Ça fait du bien de se l'entendre dire. Parce-que quand je vois que partout où je vais, les gens considèrent les marqués comme une abomination, ça me fait mal au cœur... Ils ont le droit de vivre comme tout le monde, sinon ils ne seraient pas venus au monde ! »

Ca, c'était une des choses que la Laguz croyait dur comme fer. Du moment qu'une personne était née, elle méritait sa place dans le monde, peu importe sa race. Après, restait à voir s'il ferait quelque chose de bien dans sa vie... Mais chacun avait ce potentiel en lui, d'améliorer les choses.

Ah quelle brave petite, aussi naïve qu'adorable et pleine d'espoir. Malgré les difficultés qu'elle avait pu traverser, la Laguz avait préféré le pardon et l'optimisme que de se renfermer sur elle-même et de devenir haineuse. C'était des petites gens comme celle-là qui changeaient le monde, et en plus de ça elle était charmante comme tout. Avec un peu de chance, la minette pourrait bien sauver des vies, et pas seulement contre le racisme...
Il y avait tellement de fléaux sur le monde, et tant d'entre eux étaient tout bonnement les mêmes, en tout point, les atrocités commises de la même manière par les mêmes personnes contre les mêmes victimes. Et tout ça au glorieux nom d'une imbécilité déformée et exploitée pour abuser des foules : Pour la patrie, l'honneur, la religion, la tradition, la bonne morale...

Ho bien sûr, étant le vieux du vieux de la vieille, le grand-père de Tellius avait lui-même sa réticence envers certaines choses. Les homosexuels par exemple, qu'il le veuille ou non Agnan était mal à l'aise en leur présence. Dans sa jeunesse, si on les lui avait vendu à la place des Laguz, c'est eux qu'il aurait massacré. De même pour certaines positions intimes, certaines lui paraissaient jouer dangereusement avec l'immoralité et ce n'était pas tout sur la liste. Que voulez vous, à son âge on ne se refait plus...
Cependant, le vieil homme était sage et savait passer outre ses troubles pour faire réfléchir les nouvelles générations, cacher ses propres erreurs pour amener les autres à laver les leurs.

Agnan se pencha vers la minette pour lui ébouriffer les cheveux, comme les vieux pépés aimaient tant le faire aux jeunes.

"Ho ho ho ! Tu iras vraiment loin toi petite, très très loin. Tu es jeune, tu as déjà souffert et pourtant tu n'hésites pas à ouvrir ton coeur et à pardonner. Tu n'es pas une chatte, tu es un ange !"

Ouaip, c'était vraiment pour rencontrer, encourager et guider ce genre de gens que le vieillard avait remis la route. Si chaque personne qu'il parvenait à changer ou à motiver pouvait en faire de même pour ne serait-ce qu'une ou deux autres, alors d'ici un siècle le monde serait infiniment plus beau. Délaissant la chevelure de la Laguz, se disant qu'elle ferait déjà bien assez la moue pour ça, Agnan se réinstalla comme avant.

"Si tu veux reprendre espoir et faire de belles connaissances, je te conseillerais d'aller vers Mélior, à Criméa. C'est très certainement le meilleur endroit pour te rendre compte que le monde n'est pas si moche que ça. Enfin, restes sur tes gardes tout de même. La plupart des gens ne te voudront aucun mal, mais il suffit d'un seul mécréant dans toute la cité et d'un peu de malchance pour que les choses tournent mal..."

Cela serait vraiment très dommage que la Laguz soit blessée ou détournée de ses magnifiques rêves juste à cause d'une poignée de vermine. Les vieilles habitudes étaient encore solidement ancrées, mais la grande majorité des populations faisaient chacune de leur mieux pour s'entendre et surmonter les épreuves qu'ils avaient vécu. Mais ça, il lui laisserait le soin de le vivre elle-même.

Le compliment du vieillard lui fit plaisir. C'était bien la première fois qu'une autre personne que sa mère lui disait qu'elle était un ange ! Elle adressa un immense sourire au marqué, délaissant sa moue habituelle du frotti-frotta de cheveux, même si elle porta une main à son crâne pour les remettre en place. Elle se sentait pleine de confiance en elle. Elle écouta la suite de ses paroles, et son conseille de se rendre à Mélior, la capitale de Criméa... Elle n'avait absolument aucune idée d'où un tel lieux pouvait se trouver, mais elle irait. Si les gens y étaient aussi gentils qu'Agnan le disait, ce pouvait être une bonne idée ! Elle sauta sur ses pieds et remua les oreilles, faisant tinter les grelots qui y étaient accrochés.

« Si vous le le conseillez, alors j'y vais de ce pas ! J'ai hâte de voir un tel lieux, ou même les humains sont des gens biens... Je serais prudente, promis ! Mais avant... »

Elle se transforma en chat et s'approcha de la rivière. Elle n'allait tout de même pas partir sans offrir un poisson au vieil homme, lui qui pêchait avec une canne à pêche parfaitement artisanale et semblait ne pas y arriver. Elle se concentra, ses yeux perçants scrutant les eaux vives, et elle finit par donner un violent coup de patte pour faire voler un poisson, droit devant le marqué. Elle retrouva ensuite son apparence habituelle et sourit à nouveau au vieil homme.

« Pour vous remercier de vos conseils ! »

Elle s'approcha de lui, déposa un baiser sur sa joue plein d'une affection spontanée, puis elle recula de quelques pas et leva la main comme pour le saluer.

« J'espère vous rencontrer à nouveau un jour ! Et nous mangerions pleins de poisson, mais ensemble cette fois ! »

Elle recula de quelques pas, sans le quitter des yeux, puis elle fila dans la forêt sur un dernier signe de la main. Elle avait encore pleins de découvertes à faire !

Hohoho ! Décidément, cette petite chatte était pleine de surprise et surtout d'énergie. Le vieux Daeroth était d'une forme exceptionnelle, et avait toujours possédé un talent hors normes de par son sang Marqué et sa volonté redoutable...mais de toute sa longue vie, il ne se souvenait pas avoir un jour possédé une vitalité semblable à celle de cette minette, et surtout il lui enviait sa joie de vivre. Ah, dire que lui il lui avait fallu plus d'un demi-siècle pour commencer à se poser des questions...
Survoltée, surexcitée, la féline décida de le remercier en lui offrant un poisson. Encore ! Décidément, les montagnes peuvent s'effondrer, les légendes s'oublier et même les déesses succomber au changement ou à la mortalité, mais il y a des choses qui survivront au temps et aux Hommes. Comme par exemple l'appétit des Laguz, ah, braves gens qui sont véritablement obsédés par la bouffe...

En revanche, la Laguz surprit le vieil homme en venant lui faire une bise sur la joue. Parbleu ! Cela devait bien faire un siècle que ce n'était pas arrivé ! Intenable la fillette lui souhaita de le revoir, et de manger plein de poisson ce jour-là. Ben tiens, qu'est-ce qu'il disait ! Que des morfales ces matous. Cela dit, tant d'innocence et d'entrain, et surtout le sourire qu'elle arborait, fit à son tour sourire le vieillard qu'il était.

"Je l'espère aussi jeune chatte, portes toi bien et restes comme tu es !"

Pouf ! Et la voilà déjà disparue. Par sa barbe, quelle énergie ! Dans sa jeunesse il était un guerrier redoutable, qui pouvait se battre des heures et des heures entières...mais jamais il n'aurait pu courir et bondir comme ça dans tous les sens en permanence. Le vieil homme la soupçonnait même d'être absolument intenable même dans son sommeil. Ha, il plaignait le pauvre mâle qui la prendrait pour compagne de vie tiens, les Beorquettes tirent la couette de leur côté, les félines sont plus expéditives et vous expulsent carrément du lit.
Pfiou, hé ben après tout cela ne fait peut-être pas de mal de n'être qu'un vieil ermite solitaire tiens. Ses yeux encore vifs se posèrent sur le pauvre poisson. Le refuser aurait été un manque de respect extrême envers la Laguz, mais aussi le malchanceux animal.

Aussitôt, le vieux Daeroth commença ses préparatifs, faisant un petit feu dans un cercle de pierre, puis adressa une prière de remerciement à son futur repas et commença à le préparer. Il n'avait jamais été un grand amateur de poisson, mais cela faisait toujours un menu tout frais fraîchement grillé au moins.
Quand il commença à manger, toujours sa canne à côté de lui, le vétéran de plusieurs siècles s'interrogea sur sa prochaine destination. S'enfoncer dans Gallia n'aurait pas été une bonne idée, ça non...peut-être se diriger vers Begnion ? Cela fait longtemps.
Son fil s'enfonça alors brièvement dans l'eau, avant de remonter, lui faisant dresser de broussailleux sourcils. Ben voyons, ça peut vraiment marcher un truc pareil ? Hohoho ! Que voilà un bon présage ! Va pour Begnion.