Visiblement, Alan désapprouvait grandement ses dires. Ben quoi, ce n'est pas parce qu'il avait une ou deux coupures qu'il fallait paniquer ho !...bon d'accord, cette plaie-ci était un peu sale...et celle là aussi, oh et la grosse là ne compte pas ! Après il faut bien avouer que celle-là l'avait bien fait baver ouais...et les trois là il a la flemme de s'en souvenir. Et puis merde quoi, il va pas faire le compte de toutes ses blessures ! C'est des égratignures ! Jusqu'à l'os parfois, mais une égratignure quand même. M'enfin il sentait que les convaincre qu'il "n'avait rien du tout" serait plus difficile que leur faire croire qu'il était sain d'esprit.
La dernière phrase le fit en revanche hésiter. Goldoa ? Des dragons ? Peut-être tiens, après tout la Dragonslayer devait bien être essayée ainsi pour voir si elle méritait son nom par vrai ? Aussi ne trouva-t-il rien d'autre à dire que

"Euh..."

Peu après, le bretteur s'en alla. Son pas laissait supposer qu'il revenait prochainement, y partait p'tet aux chiottes ? Un violent frisson le traversa, hérissait ses poils lorsque Kira s'approcha. Complètement cuite en plus. Et elle s'intéressait à lui bordel ! Quelle catastrophe allait-elle encore causer ? Une réponse très simple, un bel acte. Subtil, raffiné, attentionné même...en toute innocence en plus, bon comme d'hab quoi. Salope.
Alors qu'il stressait au simple fait de la voir s'approcher, elle lui donna une raison de plus de se méfier de lui en lui vidant brusquement un alcool fort sur ses plaies, à vif. Il serra les dents, aussi tendu qu'un la corde d'un arc. Nom d'une wyverne ! Ça pique !

"Ghh !"
« Vaaaala… à pu d’infection comme ça ! »

Et en plus elle en est fière ! Le Rôdeur dut réprimer l'envie de lui retourner une énorme torgnole, puis celle de s'enfuir. Comment son lui du futur avait pu survivre dans un monde qui avait vu grandir une saleté pareille ? Son coeur manqua un battement lorsqu'il réalisa que le sien en verrait grandir...deux. Ouais ben comme disait l'autre : "c'est caca".
Alan finit par venir avec une bassine et du linge propre, attirant l'attention de Kerorian. Qu'est-ce qui se passait, il y avait un autre accouchement de prévu ? Hé bé boudiou, sont prolifiques dans le coin ! Restes à prier que ce ne soit pas l'autre espèce de démon qui soit à l'horreur. Euh l'honneur ! Nan en fait, l'horreur ça marche bien....

« On peut pas réveiller le guérisseur à cette heure-ci alors on va faire avec les moyens du bord… »

Ah ben non en fait, c'était pour sa pomme. Liyu éloigna - miracle ! - la magicienne ivre morte avant de se tourner vers lui, lui demandant de la laisser faire. Décidément, s'il les avait croisé la veille, il lui aurait probablement tous plus ou moins sauté dessus...et là on lui file bouffe, potion, soins... Sont pas un peu cons ? Non pas qu'il n'apprécie pas leur gentillesse mais...
La barde s'approcha, commençant à essayer de nettoyer ses plaies avec une extrême douceur...cela ne l'en dérangea que d'autant plus. Il ne comprenait plus rien à rien, et ne savait plus quoi faire. Sans doute ferait-il mieux d'imiter son maître, et de vivre en exil... Le moral dans les chaussettes, le géant s'éloigna doucement de Liyu, essayant de fuir sa gênante délicatesse alors qu'elle voulait même envoyer Alan chercher du savon pour faire un soin plus poussé. C'en était trop.

"Pourquoi vous...êtes si gentils ? Pourquoi voulez-vous me soigner ?"

Il marcha à reculons vers un mur, il en avait assez de leur tourner le dos. Surtout les deux filles en fait, la première voulait le soigner à coup de bibine - c'est bizarre dit comme ça - et l'autre le soigner à coup de pouponnage. Une ombre commença à peser sur son esprit alors qu'il se rapprochait de l'épée démoniaque, sans en avoir lui-même conscience. Tour à tour, il désigna ceux qui furent ses proches, ses amis, presque sa famille...

"J'ai failli tuer Alan, j'ai engrossé Liyu avant de fuir comme un pauvre clébard, je suis le cauchemar des trois gosses du futur, j'ai foutu en l'air toutes vos vies bordel !"

Les maléfices de son épée recommençaient à saper sa volonté déjà vacillante, le petit Redeye cédait la place à un Kerorian bien plus brisé d'esprit que de corps. Tout ce qu'il avait entreprit, rêvé, espéré, avait échoué. Sa vie étaient une succession d'erreurs stupides, de crimes abominables... Les mâchoires aussi serrées que ses poings, il brûlait d'envie de partir en courant, de disparaître pour de bon, de ne plus jamais les voir, tous autant qu'ils sont... Le Rôdeur baissa le ton. Il ne fuirait pas, pas encore une fois...mais il n'avait rien à faire ici. Ses épaules s'affaissèrent, comme s'il pliait sous un poids trop lourd pour lui.

"Alors pourquoi...je ne peux pas être un ami, un compagnon ou un père...je suis juste un foutu connard, un monstre...votre ennemi...alors laissez moi crever..."

Il recula encore d'un pas. La douleur commença à s'estomper lentement alors que les images de chacune de ses erreurs lui revenaient. Tous ces malheureux qui avaient connu une triste fin juste pour l'avoir rencontré, tous ces crimes qu'il ne pourrait jamais laver, la haine et la déception, presque le désespoir qu'il avait lu dans les yeux des enfants du futur lorsqu'il avait cru tuer Alan... Avait-il seulement déjà fait quelque chose de bien ? Chaque fois qu'il tenta quelque chose, ça tournait toujours mal ! Avec ce corbeau, ils s'étaient battu, Aiyana avait certainement été battue pour avoir échoué à ramener la "fabuleuse épée", Liyu avait vu sa vie basculer trop tôt, son ami, le premier à comprendre son problème et dont il avait ignoré les sages conseils, avait failli mourir de sa main alors qu'il avait cédé à une colère qui n'était pas la sienne... Foutu imbécile...

Un autre pas en arrière. Le vagabond avait besoin de mettre de la distance entre eux, il se prit la tête entre les mains alors que des souvenirs, même flou, lui apparaissaient si clairement qu'ils menaçaient de se confondre avec "sa" réalité. C'était ça, qu'il voulait leur offrir ? Un monde brisé et un père totalement dégénéré ? Ils auraient mieux fait de ne pas avoir de pitié, ni de gentillesse, et de le buter à vue, sans discuter. Ils étaient tous trop bons, même l'autre folle de Kira... Les souvenirs devinrent obsession, puis une souffrance bien plus tangible que celle des plaies dont il percevait à peine encore le martyr qu'elle lui infligeaient pourtant.
Pas plus qu'il ne remarqua les gouttes qui commençaient à rouler sur ses joues. Il ne parvenait plus à se sortir de la tête ce minuscule laps de temps où sa lame avait taillé dans la chair du bretteur et que celle de son fils avait taillé dans la sienne...

Une immonde crapule comme lui ne méritait pas leur patience ou leur pitié, et certainement pas leur pardon ou leur amitié...non vraiment, il ne méritait pas ça. Du moins c'est ce qu'il pensait jusqu'à ce que Kira paraisse s'enflammer, le raccrochant brusquement à la réalité. C'est à peine si elle ne lui sauta pas à la gorge en puant l'alcool et en commençant à beugler. Devenu mystérieusement extrêmement nerveux, Kerorian faillit tendre la main vers son épée. Ce qu'il aurait très certainement fait s'il n'avait pas entendu que Liyu le considérait comme..."tout doux tout calinou" ?

Un instant, le cerveau du Rôdeur s'arrêta de fonctionner. Ses neurones finirent de redémarrer lorsque la Marquée gueula dans ses oreilles "UNE DERNIERE CHANCE", le réveillant avec la finesse d'une wyverne sauvage à l'heure du déjeuner dans une boucherie. Il se renfrogna néanmoins face à son langage, qui s'il était grossier était également terriblement sensé... Il avait désormais une fille, qui avait besoin de lui pour avoir une vie meilleure, et Liyu aussi. Il avait basculé dans la folie en regrettant cette nuit, puis en se faisant "repousser". Mais cela ne changerait rien au fait qu'ils tenaient malgré tout une relation plutôt amicale, lorsqu'il ne pétait pas les plombs, et il pouvait l'aider, comme il le souhaitait au début...comme il pouvait encore le souhaiter.

Vraiment, cela le dégoûtait d'admettre que Kira avait raison. Il y avait évidemment d'énormes problèmes qui se posaient, et le Rôdeur commençait à y réfléchir, à peser les risques et les conditions possibles en jetant un œil vers la barde, puis la p'tite rouquine. C'était trop risqué qu'il reste habiter ici, si jamais sa conscience s'effritait trop, comme cela était déjà arrivé, alors... Il secoua la tête, préférant chasser de ses pensées l'horrible image de la chanteuse au corps massacré et de la gamine...et des autres. Impossible qu'il vive ici. D'autant qu'il ne le supporterait pas, mais sa patrie n'était pas si loin que ça après tout...
Quelque chose en lui cria soudainement "Danger !", le sortant de ses pensées alors même que Kira l'empoignait sans vergogne pour ainsi dire.

« Ah ben oui… t’en es un… et bien équipé en plus ! Enfin profite-en pas pour faire une tite sœur à Louka… fin… pas tout d’suite… ptain… ça tourne… bref… souviens toi de c’que j’ai dit ! Sois un homme ! Assume tes actes et soit un bon papa pour Louka sinon… sinon… J’te les broie ! Comme j’ai fait à Drake ! Comme ça ! ! »


Le pauvre Kerorian dut réprimer un terrible sursaut tandis que ses joues s'enflammaient encore plus vite qu'un champ de paille. Il n'appréciait guère de se faire tripoter, et l'idée de faire un second enfant à Liyu ne l'aida pas à garder toute sa prestance...et comment ça, "pas tout de suite" ? Elle est complètement barjo ! Trop paniqué pour écouter la suite, son cas s'aggrava encore lorsqu'elle commença à...appuyer sa menace.
Fort heureusement, Alan réagit rapidement et le libéra de l'étreinte et des idées déplacées - mais intéressantes ? - de la mage. Pour sa part, le Rôdeur retrouvant toute sa liberté en profita pour s'éloigner encore un peu plus, rajoutant encore un nouveau critère à sa longue liste de pathos avec les femmes... Putain, mais est-ce qu'il va avoir des emmerdes à chaque fois qu'il adresse la parole à une nana ? Nino a failli le tuer, Aiyana voulait le piller, Liyu lui a fait un gosse qui a ensuite débarqué du futur avec ses potes pour le dézinguer ou le peloter, c'est quoi la prochaine étape !?

La musicienne chassa la Marquée vers sa chambre tandis que le pauvre guerrier tentait de retrouver ses esprits. Quand elle s'approcha de lui, le sang marquait encore ses joues mais il s'efforçait de reprendre le contrôle de ses pensées...pour entendre Liyu évoquer à nouveau leur "relation". Ainsi que la conséquence. Il tourna son oeil écarlate vers la petite gamine qui riait dans les bras du mini-Niall.
La barde ne tarda pas à enfoncer le clou. Tout comme Kira, elle avait raison. Pourquoi les femmes semblaient toujours avoir raison alors qu'elles causaient tant de problèmes ? Au rythme où ça allait, même s'il parvenait à triompher pour l'instant - l'enfer seul sait comment - même s'il parvenait à ignorer ou surmonter la douleur et la fatigue, il était clair qu'à un moment ou un autre, son corps allait lâcher et lui avec. Elle disait qu'ils avaient les moyens d'empêcher que la p'tite Louka ne grandisse sans son père... Il se rappelait le malaise qu'il avait éprouvé envers Kerowyn, le regret d'avoir été...le cauchemar de toute sa vie. Ça ne devait pas recommencer...

Le géant reporta son regard sur la chanteuse lorsqu'elle posa ses mains sur ses épaules, essayant de le fixer dans les yeux, ou plutôt dans l’œil. Elle était vraiment minuscule, une petite chose toute fragile, tout comme Louka. Kira avait vraiment raison là-dessus, elles avaient besoin de lui...

- Tu as failli tuer Alan. FAILLI. Tu ne l'as pas fait. Ce qui compte, c'est que maintenant, nous avons la possibilité de changer un futur terrible pour en faire quelque chose de beau... Alors s'il te plais, je t'en prie... Ne nous rejette pas, ne soit pas la graine de la dissension dans cette famille... Et si tu ne le fait pas pour toi, fais-le au moins pour ta fille...

Bordel de misère...il n'avait jamais rien demandé à personne, pas d'aide, pas de faveur, pas d'amour...jamais rien. Pour le temps qu'il avait passé sur les routes, le pauvre Rôdeur s'était contenté de vivre selon ses principes, sa rigueur et sa générosité, sans rien attendre ni de la vie ni de l'avenir. Et voilà que Liyu semblait dire que TOUT reposait sur ses épaules décharnées. C'était ses actes qui allaient décider du bonheur de sa fille et de sa...et de la mère de celle-ci. Son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine lorsqu'elle en vint presque à le supplier, avec un regard qu'il ne pouvait soutenir, de ne pas les rejeter. Il n'osait plus regarder qui que ce soit, incapable de pouvoir croiser les yeux, la raison, de qui que ce soit, alors son œil se ferma tandis que la petite chanteuse venait l'enlacer, accentuant encore une fois son malaise et ses tourments.

Il n'en pouvait plus. Vraiment plus. L'arme à la main, rien ne le faisait reculer. C'était encore plus vrai lorsqu'il perdait la raison. Alan avait peut-être raison en évoquant les dragons de Goldoa, ou alors il s'était juste jeté dans une mêlée désespérée. Il ignorait des douleurs qui auraient terrassé des braves, poursuivait le combat sans fléchir même après avoir subi des blessures qui auraient mis au tapis un homme normal sur le coup. Le simple fait de bouger dans son état était de l'inconscience, le faire avec son équipement au complet et sans s'alimenter relevait du suicide. Et pourtant il le faisait, jour après jour, sans même ralentir.
Et cela ne l'aidait en rien face aux larmes de Liyu, à sa tendresse irraisonnée et pourtant ô combien juste... Louka avait besoin de son père, tout comme Kerowyn aurait eu besoin du sien. Il était fou, dément, mais il y avait un espoir, tant pour eux que pour lui. S'il restait seul, alors il perdrait réellement tout, comme il avait cru que ce fut le cas lorsqu'il faillit tuer Alan - confirmant ainsi au passage qu'il ne rêvait pas ce qui était une excellente nouvelle...un peu moins car ça signifiait que Kira lui avait réellement empoigné les balls - et qu'il était parti.

Kerorian repensa à Esberg. A sa résolution malsaine qui s'était effondré au premier contact avec sa "famille". Il avait passé deux semaines à se répéter qu'il fallait les tuer, pour changer radicalement de direction au bout de quelques minutes à peine à leur contact. Il avait même commencé à tisser quelque chose avec Kerowyn, et s'il n'avait pas été aussi stupide, alors tout aurait été plus simple et plus beau... En cela, ils avaient tous raison, depuis le début. Leur monde à eux tous dépendait de son choix. Ou il fuyait, se cachait, se terrait, et il abandonnerait tout. Sa fille, sa "femme", ses amis et lui-même, tous ceux qui lui accordaient des chances, du pardon et même dans une certaine mesure de l'affection. Il ruinerait alors sa vie et les leurs. Encore. Ce n'était pas acceptable...ce n'était même pas envisageable. Et pourtant quelque chose en lui le tirait loin d'eux, l'incitait, le forçait à s'éloigner, sans aucune raison, sans aucune excuse.

Le cadavre ambulant se mordit la lèvre, aussi fort qu'il le pouvait. Son esprit, sa conscience oscillait entre son insensible folie qui le protégerait de ces émotions, et la fragilité du cœur d'or d'un jeune homme des montagnes. Les fantômes qui le hantaient s'échinaient à troubler ses pensées, à saper sa volonté, à laisser les murmures de sa damnation le pousser définitivement de la corniche du gouffre sur laquelle il reposait apparemment tandis qu'il se répétait qu'il devait rester, les aider...les aimer même, tous autant qu'ils sont, Liyu, Louka, Alan, même Kira et toute la clique. Face à la démence, il se raccrochait à la raison. Contre son âme glacée, il opposait la chaleur qui tentaient de se répandre depuis son corps.

Il ignorait s'il était réellement amoureux de la barde ou non, et peu lui importait. Kerorian était certain de l'apprécier. Elle paraissait d'une gentillesse infinie, d'une douceur, d'une tendresse irraisonnée. Cela lui suffisait. En plus elle est vraiment mignonne. Le Rôdeur commença à se dire que s'il était le pas qui déciderait dans quel sens le destin marcherait, Liyu elle était le chemin qui l'aiderait à prendre la bonne direction. Si cela ne méritait pas de se dévouer pour lui rendre la vie meilleure, à elle et sa...LEUR fille, alors rien ne le méritait.
La douleur recommença lentement à irradier dans tout son corps alors qu'il réfléchissait plus précisément, plus posément à ce qui allait advenir d'eux. Lui, Liyu, tous les autres. Malgré tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a failli faire, il avait encore droit à espérer une place parmi eux... Il ne serait pas seul, alors il se résolu à ne jamais les laisser l'être. Son âme avait été rongée, son corps déchiré, mais il ne serait jamais perdu.

Cette fois, le Rôdeur s'abandonna vraiment à la faiblesse...ou plutôt au sentimentalisme. Il parlait peu d'habitude, car il ne savait pas comment s'y prendre. Il évitait les gens, car il ne parvenait pas à s'intégrer. Et maintenant, il avait réellement une famille et presque un foyer. Cela méritait bien de se lâcher un petit coup, juste une fois, juste une seule, entre eux...de toute façon Kerowyn et Kira ne le verront pas, alors raison de plus.
Il grimaça en laissant échapper un grondement lorsqu'il plia les genoux - depuis quand étaient-ils si douloureux ? - pour se mettre à la hauteur de Liyu, les yeux toujours clos et l'entoura doucement de ses bras, aussi maigres que puissants, la serrant délicatement contre lui alors qu'il commençait à remarquer l'humidité de ses joues. Etait-il vraiment à ce point-là à bout ? Apparemment oui. C'était à lui de les protéger, mais il n'aurait pas à faire ça seul, exilé. Il avait le droit de se reposer avec eux, de rire, de partager leurs peurs et leurs rêves. Pouvait-il vraiment espérer quelque chose d'autre ?
En y réfléchissant bien...oui. Que ce moment dure plus longtemps. Même juste un petit peu. Car il ne pourrait rester. Que ce soit à cause du climat d'Hatary, ou de la menace de son épée, il lui serait impossible de demeurer comme eux le faisaient. S'il voulait pouvoir vivre tous ensemble, longtemps, alors il faudrait un autre foyer...mais ça, il y réfléchira plus tard. Pour l'instant, il envoya au diable le destin, les malédictions et la souffrance, et serra contre lui la petite barde qui venait de donner la vie à une...horrible petite fille - car définitivement ce truc est moche même s'il est attachant - qui deviendrait bien vite adorable, tout en lui rendant la sienne. Il murmura doucement à son oreille...

"Liyu...merci..."

Le Rôdeur profitait, savourait ce moment. Même Kira lui donnait sa chance, Alan était vivant et Liyu lui demandait de rester avec eux. Cela lui faisait mal, bien plus que chacune de ses blessures, mais cette douleur avait quelque chose de...d'agréable...alors il s'efforçait d'en profiter, tant qu'il avait encore ses esprits. Il aurait tout le temps du monde de leur dire qu'il ne resterait pas éternellement, et toute une vie qu'il s'efforcerait d'entretenir plus soigneusement pour revenir les voir.

Lorsque la voix d'Alan leur parvint, les ramenant sur terre, Liyu se racla la gorge et commença à se dégager de leur étreinte. Cela chagrina un peu le borgne, qui trouvait cela plutôt...agréable. Même si leur considérable différence de taille rendait la position particulièrement inconfortable, surtout dans son état. Kerorian s'essuya les yeux qui lui piquaient, sans se rendre compte qu'il avait pleuré, pas plus qu'il ne remarqua la coloration des joues de la chanteuse qui s'en allait récupérer leur petite gamine, qu'elle installa plus ou moins en bandoulière avant de s'attaquer à un nouveau repas.

- Va manger ta viande Kerorian... Je vais te préparer autre chose, vu comment tu as la peau sur les os tu auras besoin de plus pour te remplumer. Je viendrais m'occuper de tes blessures dès que le bouillon seras sur le feu.

Le Rôdeur faillit la retenir, lui dire que ce n'était pas la peine. Il n'aimait toujours pas recevoir de l'aide ou être ménagé. En particulier par une femme, et plus encore lorsque celle-ci vient d'accoucher. Quoique ce dernier point est une expérience nouvelle... Cependant, il sentait qu'elle se serait entêtée, qu'Alan l'aurait bien évidemment soutenu car il aurait eu raison de le faire et qu'il aurait été forcé de s'incliner.
Ressentant de plus en plus le poids de la fatigue trop longtemps ignorée, Kerorian se traîna plus ou moins péniblement pour se rasseoir lourdement, grognant un peu lorsque le choc réveilla une douleur à travers tout son corps. Est-ce qu'il était vraiment si mal en point ? Et encore, il ne doutait pas que sa résistance cachait son état réel, sans compter les maléfices de son arme maudite, dont il sentait l'éternelle pression comme une pointe sournoise derrière la nuque, une présence effacée, dissimulée, mais qui ne cessait de le guetter. D'un seul coup, ce steak lui semblait être une bonne idée...

Il se débattit tant bien que mal avec la viande - fut un temps où il s'efforçait de manger avec des couverts après l'épisode "Nino" - alors que Liyu s'occupait de la p'tite Louka. Il la regarda du coin de l'oeil s'installer sur un fauteuil et la bercer. Mais à mesure que la gamine semblait flancher, la mère semblait l'imiter, si bien que les deux finirent dans les vapes alors qu'il finissait son bout de viande, le mâchant distraitement avec un léger sourire aux lèvres. Une journée fort mouvementée, ouaip. Un accouchement, une seconde chance, une Kira toujours plus dangereuse...

Son repas terminé, le Rôdeur se releva lentement pour éviter de brusquer sa carcasse qui lui semblait disloquée. Cela l'arrangeait en fait, que Liyu s'endorme. Déjà car ça l'aurait vraiment gêné qu'elle le soigne alors qu'elle venait de mettre au monde, et aussi car il n'était pas le seul à avoir besoin de repos... Mais surtout car il pourrait parler de certains trucs qui ne lui auraient pas forcément plût. Il tourna son œil écarlate vers le bretteur. Que cela lui ôtait un poids des épaules de le savoir en vie ! En aucun cas cela ne le pardonnait, mais quel plaisir de l'avoir loupé.

"Va pour les soins et une nuit de repos ou deux...mais je ne resterais pas longtemps. Pas plus que je ne pourrais habiter avec vous."

Il s'abstint de dire que cela était trop dangereux - Alan le comprendrait tout seul sans peine - ou qu'il ne le supporterait pas. Il n'avait aucun droit de réclamer quoique ce soit, ou de se plaindre. Mais malgré ses efforts, Kerorian persistait à ne pas supporter la foule - sans parler d'une certaine Marquée, même s la vie ne doit pas être ennuyeuse à ses côtés - ni la chaleur. Il avait besoin du grand air des montagnes, de la froideur de l'hiver. Pas d'un grill de barbecue ensablé en guise de foyer.
S'efforçant de marcher d'un pas léger en approchant de la jeune mère et de leur fille, pour les regarder de plus près. Le borgne tendit la main, hésitant, frôlant presque le visage de la chanteuse. Finalement il la trouvait toujours aussi belle...il avait juste plus d'expérience maintenant. Tant avec elle qu'avec ses problèmes. Il préféra s'abstenir toutefois de la toucher.

"Mais je reviendrais...quand je retrouverais la raison, et que j'aurais le temps, je reviendrais ici. Pour elles."

Alan était son ami, et malgré ce qui s'était passé il paraissait continuer à lui accorder une relative confiance. Mais ce n'est pas lui qu'il irait voir régulièrement dans ce pays qu'il ne supportait pas. Le Rôdeur savait comment se déroulait sa vie, sa pensée. Tout cela fluctuait, enchaînant des moments de faiblesse, ou de démence extrême, avec des passages placides, voire inerte. Comme cette fois où il s'était réveillé, insensible à tout sentiment, au milieu d'une formation rocheuse qui ne lui disait rien et dont il avait mis trois jours à sortir. Quelque fois aussi, il reprenait ses esprits, comme aujourd'hui, et redevenait un gentil Kerorian, celui que l'on attendait désormais, celui qu'on accueillerait avec un regard noir et un sourire chaleureux. Celui-là reviendrait quand il aura l'occasion...
Mais cette pensée fit naître un raisonnement. Qu'en serait-il des "autres" ? Le drame qui avait eu lieu lors de sa dernière visite ne devait surtout jamais se reproduire, d'aucune façon. Son oeil unique se posa à nouveau sur le bretteur. Il le savait fort. Très fort même, lors de leur dernière affrontement il n'aurait eu aucune chance... Cela dit, malgré son état sa force était devenue considérable. Face à la Dragonslayer, est-ce que l'agile gaucher serait encore capable de le défaire ? Pas sûr...mais il était bien le seul à pouvoir l'affronter par ici.

"Si jamais par malheur je revenais ici dans un...mauvais jour. Alors n'hésites pas à m'abattre s'il le faut, même dans le dos. Je préfère que Louka perde un père aussi douteux que moi plutôt qu'une mère aussi douce que Liyu... Sans parler de tous les autres."

Il ne traînerait probablement pas vraiment dans le désert dans sa démence. Il avait plutôt tendance à rester dans les endroits qu'il aime d'instinct, les souvenirs épisodiques qu'il avait de ses "crises" se passaient généralement dans des bois épais, ou près de falaises, de sentiers abandonnés... Mais parfois cela s'écartait. Il était inacceptable qu'il revienne "à la maison" - quelle expression ! - avec un autre but que celui qui venait d'être "négocié".

"D'ailleurs, n'en parles pas aux autres... Ils s'en douteront de toute façon, mais le savoir clairement ne leur fera aucun bien."