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| Sujet: Veith, Tacticien à temps partiel. Lun 20 Sep - 0:20 | |
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Veith, Tacticien d'Ashnard. | >> Ecouter le Thème de Veith << - Nom - Aucun. A Daein, à l'époque où a grandi Veith, exister ne suffisait pas: la seule manière de gagner son nom était de l'inscrire en lettres de sang. - Prénom - Veith. - Âge - Vingt-sept ans. - Race - Beorc. - Classe - Combattant. Il a abandonné l'arc pour des raisons qui vous seront dévoilées; il n'est pas exclu qu'il en reprenne un jour l'utilisation... - Pays d'origine - Daein.
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- Description physique - L'ancien tacticien de Daein peut être, en toute objectivité, qualifié de bel homme. Il possède un physique svelte et élancé, malgré sa stature - son mètre soixante-dix-sept ne le classe pas vraiment parmi les colosses. Bien que venant de l'un des niveaux les plus bas de l'échelle sociale du royaume, il a adopté le maintien raide et digne des hommes haut placés après avoir reçu sa promotion au poste de conseiller militaire. Sa musculature peut sembler peu développée, mais cet effet n'est dû qu'à ses tenues assez amples: il est tout à fait apte à manier la hache comme un expert, et n'a pas peur des tâches physiques. Non, ses membres sont secs et nerveux, sans tomber dans l'excès; plutôt qu'une puissance titanesque, ils lui confèrent une agilité que même le port d'une arme lourde ne peut réduire. Il méprisait autrefois les nomades, allant jusqu'à se servir d'eux pour obtenir des soins; aujourd'hui, Veith est bien forcé d'admettre que son point de vue sur la question a radicalement changé. Les longues années passées sur les routes lui ont appris à apprécier le confort procuré par les tenues traditionnelles des gens du voyage. Lorsqu'il était à la botte d'Ashnard, il s'encombrait de parures, de cuirasses somptueuses mais seulement adaptées à ceux qui, comme lui, ne craignaient que les assauts des tireurs et n'avaient donc aucun besoin de se déplacer de façon constante; maintenant qu'il manie la hache, le tacticien ne porte plus que des spallières en guise d'armure - et encore, uniquement dans le but de protéger ses articulations en cas d'affrontement difficile. La plupart du temps, on le voit dans une tenue faite d'un tissu léger et comportant plusieurs pans superposés - la couche supérieure étant bleue et la couche inférieure, quant à elle, noire. Divers motifs typiques de l'art traditionnel nomade en suivent les coutures, formant frises et arabesques d'une fort jolie façon. Deux grosses lanières de cuir sombre en retiennent les manches au-dessous de l'épaule. Cette veste à la coupe atypique se prolonge jusqu'aux mollets par quatre pans de tissu noir, comportant chacun un motif d'inspiration tribale. Ils entourent un pantalon de la teinte la plus sombre d'un ciel de jour, orné d'une touche de blanc sur la côté extérieur de chacune de ses jambes. Enfin, Veith est chaussé de souples bottes immaculées, dont la semelle offre à la fois une bonne adhérence et une discrétion accrue lors des déplacements. Détail curieux, le jeune homme trimballe souvent avec lui une petite sacoche pleine de bric-à-brac, fixée au niveau de son ventre grâce à sa ceinture, mais également à l'aide de deux épaisses cordes tressées qui agissent à la manière d'une paire de bretelles. Très utile, cet espace de rangement lui permet de surveiller en permanence ses biens de première nécessité, même s'il lui donne un petit air de brocanteur ambulant. Toutefois, ce qui le rend immédiatement reconnaissable reste sa chevelure blanche si insolite. D'après la légende qu'il entretenait jadis, sa tignasse hirsute aurait perdu sa couleur après une rencontre effrayante et surnaturelle à la suite de laquelle il avait été investi de la formidable capacité de pressentir les mouvements des troupes ennemies; en vérité, cette fable ne colle pas, car ses cheveux avaient déjà acquis leur couleur argentée à son arrivée dans l'armée de Daein. Ils avaient blanchi en quelques mois, sans aucune raison apparente, à la fin de son adolescence. Lui-même ne s'en était pas inquiété outre mesure: il avait toujours pensé que le blond ne lui allait pas, finalement. Sous une myriade de mèches en bataille, un froid regard d'or vous fixe sans la moindre hésitation, sans le moindre battement de cils. C'est le regard d'un homme déterminé, celui d'un conquérant. De même, sa couleur vert clair d'origine a lentement changé, s'éclaircissant au même rythme que ses cheveux. Il se fait doux et rassurant si besoin est; il peut figer et réconforter, il est chaleur et glace mêlés. La seule chose qui paraît l'atténuer est l'écran parfois formé par la présence d'une paire de lunettes sur le nez de notre homme. Il est ici utile de préciser un point: la qualité de la vision de Veith a toujours été parfaite, ce qui a contribué à son renom en tant qu'archer. Cependant, le verre droit de cet accessoire n'est autre qu'une sorte de loupe permettant plus de précision lors d'un tir. Comptant reprendre bientôt son arme de prédilection, le tacticien a jugé utile de se procurer un tel objet. En tout cas, rappelez-vous d'une chose: plus un sourire est rare, plus il est précieux. Ainsi, celui de Veith pourrait avoir valeur de diamant. - Description mentale - Comment parler d'un être si torturé dans ses moindres détails, sans omettre la moindre information capitale? Est-ce seulement possible? La personnalité de Veith, c'est avant tout un génie certain. Pas le genre d'intelligence austère qui n'entre en action que lorsque l'on fait appel à elle, non; des idées par centaines, par milliers, chaotiques, grouillant comme une légion d'insectes sous l'apparente tranquillité du jeune homme. Un génie tactique, une réflexion constante sur tout et rien; le genre de don de la nature qui confère un savoir sans limite, par l'intermédiaire d'une rage sincère d'apprendre par soi-même ce que la vie n'a voulu servir sur un plateau d'argent. L'homme est surprenant, imprévisible; son acuité mentale fait honte aux plus nobles instincts. C'est cela, le génie, mais également un fardeau qui fait de la réflexion un acte naturel, un réflexe, au même titre que les battements du coeur ou la respiration; penser devient vital. Vital, mais épuisant. Et il n'existe qu'une seule parade: focaliser toute cette puissance mentale sur une seule et unique distraction. Comme, par exemple, la lecture. Ce qui explique la quantité faramineuse d'ouvrages possédés par Veith, ainsi que ses prodigieuses capacités d'apprentissage. Le tacticien est quelqu'un de difficile à cerner. Il est atrocement têtu, mais un rien le fait changer d'avis; il défend ensuite sa nouvelle position avec la même véhémence qu'auparavant, jusqu'à ce qu'un fait nouveau lui fasse encore une fois réviser son jugement. Il aime en fait explorer toutes les possibilités, voir les choses sous tous les angles à la fois; il est comme une lueur qui tenterait de faire disparaître les ombres provoquées par sa simple présence. S'il s'interroge régulièrement sur ce qu'il sait déjà, il ne mettra en revanche jamais rien en doute tant que personne ne lui aura présenté d'hypothèse différente, de piste valant la peine d'être suivie. Ce qui l'a d'ailleurs mené à bien des erreurs. En tant qu'homme de Daein, Veith détestait fort volontiers ceux qu'il appelait, avec tant de mépris, les sous-humains. Toutefois, sa rencontre avec une représentante du peuple des Dragons a stimulé chez lui ce désir d'apprendre, de remettre en question ce qui lui avait été inculqué depuis toujours. Il n'est pas encore totalement à l'aise avec certaines espèces, notamment les bêtes de Gallia, mais s'excuse volontiers de son manque de tact lorsqu'une remarque acerbe, comme née par elle-même de son humour cynique, offense l'un de ses interlocuteurs. Ce qui arrive d'ailleurs très souvent. Malgré tout, c'est en règle générale sa bonne volonté évidente que perçoit son entourage - une sorte de franchise ayant quelque chose de candide, d'enfantin. Poussé par la prédominance de celle-ci, le jeune homme s'est lancé un défi personnel: puisqu'il connaissait la vérité sur les Laguz, il éclairerait ceux qui les croyaient mauvais. Il tenterait d'éviter tout nouveau conflit. Il est préférable de ne rien révéler de plus sur le mental tortueux de notre homme, tant ses réactions sont variables et dépendantes de critères aussi nombreux que variés. Cependant, une affirmation reste vraie: s'il est un jour assez désorienté pour préférer écouter son instinct plutôt que sa logique implacable, vous aurez toutes les raisons du monde de commencer à paniquer. - Votre humour est toujours aussi raffiné, mon Roi.Sauf que ce n'était pas de l'humour qui se reflétait dans la lame d'Ashnard. Gurgurant, une arme à faire froid dans le dos... Cette épée puait l'envie de meurtre, la corruption de l'être humain, la déchéance de tout ce qu'il avait de bon en lui; son simple nom était une insulte adressée à la Déesse. En somme, un outil de mort forgé à l'image de son manieur, comme si l'artisan avait scellé ses émotions dans l'acier alors qu'il le modelait lentement. Bercée par la main du Roi Fou, son extrémité bien trop arrondie, tête laide et difforme de chien pouilleux flatté par son maître, fendait l'air en décrivant des arabesques compliquées - arabesques que les yeux de Veith suivirent machinalement, avant de se poser à nouveau sur le dernier chapitre du roman qu'il avait entamé quelques jours plus tôt. Pas de quoi s'inquiéter: Ashnard passait souvent son irritation par le fil de son épée. En même temps que le mobilier alentour, d'ailleurs. Mais Ashnard avançait encore. Son pas pesant résonnait toujours autant dans le vaste hall, son armure cliquetait avec la même intensité - bref, quelque chose était franchement inquiétant. Même Veith, qui avait appris à supporter sa présence, sentait les ennuis arriver. Il ferma l'ouvrage dans un claquement sec, releva la tête, se trouva surpris de voir son Seigneur et Maître si près de lui; au même instant, Gurgurant siffla près de sa tête, le forçant à se soustraire à l'attaque en se jetant en arrière. Mais que fabriquait donc ce diable d'Ashnard? La remarque de son fidèle tacticien l'avait-elle offensé? Il ouvrit la bouche, prêt à se répandre en excuses; d'un regard, le Roi Fou gela les mots avant même qu'ils aient pu sortir. Un borborygme vaguement compréhensible s'échappa de ses lèvres, mais ce fut tout. - Qui a dit que je plaisantais? Je l'ai maintes fois répété, seuls les forts ont leur place dans mon monde idéal. Or, tu ne m'es plus d'aucune utilité, et tes conseils de couard ont cessé de m'amuser. Eviter d'attaquer Criméa? T'ai-je demandé ton avis, à toi, le roquet puant que j'ai tiré de la boue et de l'ordure et qui compte mordre la main qui l'a nourri?Le regard glacial du souverain soutenait ses propos mieux que n'importe quelle preuve. Et Veith comprit. Lui, un simple tacticien parmi tant d'autres, avait osé s'exprimer sur un sujet qui ne le regardait pas, un sujet sur lequel Ashnard seul avait son mot à dire. Pis encore, il l'avait fait de lui-même. Pour la première fois, il réalisa son erreur: ce n'était pas le simple peuple de Daein, mais le monde entier qui était le jouet d'Ashnard. Ce fou dangereux n'avait besoin de personne, et l'idée de pouvoir conseiller un tel monstre indéfiniment lui parut soudain si ridicule qu'il laissa échapper un rire nerveux. A nouveau, le tranchant de Gurgurant vint chercher sa gorge, et le jeune homme se jeta à terre. Dans une telle position, il était vulnérable; avec l'énergie du désespoir, il roula sur le côté pour éviter une nouvelle estocade, mais ne put éviter de faire connaissance avec l'extrémité de la botte droite du seigneur, qui l'envoya valdinguer si fort que deux de ses côtes se fendirent sous l'impact. Tout en se relevant, enfonçant ses ongles entre les pierres brutes des murs pour tracter plus vite sa carcasse vers le haut, il jeta un coup d'oeil paniqué autour de lui. Une issue. Il lui fallait une issue, peu importe laquelle. Il aurait tout donné pour s'éloigner de ce fou furieux de roi, y compris la vie de ses proches s'il l'avait fallu. - Sire? Non, Sire, vous n'êtes pas sérieux! Epargnez-moi donc, vous savez que je peux vous être utile! Avez-vous oublié ce que j'ai fait pour vous?Vague expression d'incrédulité sur le visage d'Ashnard, tandis que celui-ci forçait un peu l'allure. Il savait qu'il inspirait une terreur sans nom à son laquais; sans nul doute, cela lui procurait une sombre joie, le sentiment d'avoir obtenu ce qu'il désirait sans se l'avouer. Le laquais en question, d'ailleurs, se saisit de sa propre arme. Acculé au fond du couloir, dos à la fenêtre close qui donnait sur la plaine, il banda son arc d'une main mal assurée. L'instrument était de très bonne facture, fait d'argent et orné de gravures d'une grande beauté; toutefois, il ne pouvait rivaliser avec l'ampleur de ce qui se dressait face à l'extrémité de la flèche qu'il était censé rendre menaçante. Dans tous les cas, Veith était perdant. S'il ratait, il mourrait; s'il tuait le Roi, ce miracle se changerait en malédiction lorsqu'il serait lynché pour son acte odieux. Il rata. Le projectile ripa contre le métal froid de l'armure de sa cible; au lieu de mordre à la gorge, elle effleura la tempe, ne faisant rien couler de plus qu'un mince filet de sang. Ashnard s'arrêta. Il n'avait pas esquissé le moindre mouvement pour se soustraire au tir: en réalité, on aurait cru qu'il s'était volontairement laissé toucher, se délectant de son propre sang en attendant de voir couler celui, plus abondant, de sa proie. - As-tu oublié, toi, ce que j'ai fait pour toi? Hors de ma vue!Avant même que l'archer ait pu comprendre ce qui s'était passé, Gurgurant, l'immonde lame bâtarde du Roi, déchirait ses chairs avec délectation. Aucun cri ne put sortir de sa gorge, tant l'attaque avait été soudaine et la douleur, insupportable, prompte à le prendre aux tripes. Et puis l'épée effectua un revers, retournant chercher la vie du tacticien, désireuse de finir son travail. - Je...L'éclat surnaturel de la lame cessa lorsque le vermillon vint l'envelopper, à la manière d'un linceul. Au même instant, celui qui animait le regard du Roi Fou s'intensifia, alors qu'il contemplait la chute interminable de Veith par la fenêtre désormais brisée. Lorsque le corps eut rencontré le sol, apportant une touche finale à ces quelques secondes de violence pure, il s'en retourna à son trône, écartant d'un coup de pied méprisant l'arc d'argent resté au sol, ainsi que les deux moitiés d'un ouvrage aux pages imbibées de liquide vital. Pas de place pour les faibles, en l'ère d'Ashnard.
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Le ciel flamboyait lorsque le tacticien rouvrit les yeux. A peine conscient, il n'osa pas bouger de suite, ni même seulement pencher la tête pour regarder dans quel état il se trouvait. Avec d'infinies précautions, il remua le bras gauche, puis le droit; il se tracta légèrement en arrière grâce à ses coudes, s'adossant lentement à l'épaisse muraille du château d'Ashnard.
Le résultat n'était pas brillant. Au niveau de son ventre, deux plaies béantes, en forme de V renversé, témoignaient de l'attaque du Roi Fou. Elles avaient abondamment saigné, mais l'hémorragie paraissait terminée... Du moins, pour le moment. Quant à ses jambes, seule la droite répondait jusqu'à son extrémité; l'autre présentait des boursouflures d'aspect franchement alarmant. Malgré tout, Veith pouvait s'estimer chanceux d'être encore en vie - car il s'agissait bien d'un fabuleux hasard qui lui avait sauvé la mise. Lorsque Gurgurant avait plongé vers son estomac pour la deuxième fois, il s'était littéralement tassé contre la vitre à laquelle il était acculé; grâce à ce réflexe purement mécanique, la lame fourbe n'avait pu l'étriper totalement, mais la puissance du coup qu'elle lui avait porté avait suffi à le défenestrer avec la plus grande facilité. Et si sa chute ne l'avait pas tué, c'était grâce au temps lamentable de la semaine passée: le sol meuble avait absorbé une quantité incroyable d'eau de pluie, lui offrant un matelas bien assez mou pour lui éviter la mort. En plus de cela, il avait atterri sur le côté, évitant à ses blessures de s'infecter au contact de la boue et des immondices: une cheville en miettes n'était, en comparaison, qu'un faible prix à payer.
Seulement, voilà: Veith était toujours à deux pas du château, et donc d'Ashnard. Le souverain n'était certes pas du genre à s'assurer de la mort de ceux qui ne l'intéressaient plus, mais quelqu'un d'autre pouvait passer par là et finir gaiement le travail. Et, de toute manière, les lieux étaient sinistres, dégageant la même aura malsaine que celui qui les occupait depuis plusieurs années déjà. Le tacticien ne voulait plus rien avoir à faire ici. Avec une lenteur calculée, il se releva, s'appuyant sur sa jambe valide et s'agrippant aux aspérités rocheuses de la muraille. Conscient qu'il ne pourrait aller bien loin dans un tel état, il longea la paroi jusqu'à trouver ce dont il avait besoin: une lance brisée, témoin de la défaite d'un vaillant soldat de Daein, vestige plutôt courant dans les environs compte tenu des nombreux entraînements militaires qui y avaient lieu. Se servant de cette pièce de bois comme d'une béquille, Veith descendit la colline menant à Nevassa: la capitale du royaume servait de rempart à la royale demeure, et cela réduisait considérablement le chemin à parcourir, fort heureusement pour lui.
Durant le trajet, la plus profonde de ses blessures - la première - se rouvrit. Un flot de sang tiède imprégna à nouveau l'habit du tacticien, qui se vit forcé de faire une pause. Le soleil s'était tout juste couché, et la pénombre le dissimulait aux regards indiscrets, empêchant les gens de la ville de le repérer de loin; autrement, avec ses beaux habits et sa bourse bien remplie, certains n'auraient pas hésité à abattre une cible si facile pour le dépouiller. Le danger, à Daein, pouvait provenir de n'importe où. Jamais les sens de Veith n'avaient tant été en alerte; il se sentait comme l'un de ces sous-humains crasseux qui, avec leurs grandes oreilles, pouvaient entendre le plus petit bruit à des kilomètres à la ronde. Mais ce n'était pas un mal: seule l'adrénaline, qui le droguait et lui faisait oublier sa souffrance, agissait encore comme un carburant pour son corps. Autrement, il se serait écroulé dans la seconde.
Il atteignit les premières maisons, en fit le tour en claudiquant. La plupart des habitations étaient actuellement occupées, des éclats de voix s'en échappaient; il ne fallut cependant pas longtemps à Veith pour dénicher un abri idéal. Il s'agissait d'une petite baraque, un peu à l'écart des autres, à l'intérieur de laquelle il faisait noir comme dans un four. Pas même la plus petite lueur visible depuis la fenêtre. Il décida de tenter sa chance, brisa la vitre d'un coup de lance après s'être assuré qu'il n'y avait personne dans les parages; tapi dans l'ombre et prêt à s'éclipser dans une autre direction en cas d'ennui, il vérifia que le bruit de l'impact n'avait été entendu par personne, puis pénétra dans la pièce.
Contrairement à l'habitude qu'il avait prise lorsqu'il inspectait les quartiers défavorisés, le jeune homme ressentit plus d'amertume que de soulagement en regardant autour de lui. Cette fois, il savait que les événements de la journée le forceraient à revenir à ce train de vie misérable auquel il avait pu échapper grâce à sa maîtrise de l'arc, sans parler de ses connaissances. Tout, autour de lui, pouvait potentiellement rouvrir une petite porte, quelque part dans sa mémoire; de cette sortie béante surgirait un souvenir enfoui de cette vie de misère, malgré tous ses efforts pour enterrer ce qui le liait à ses origines dénuées de tout prestige. L'attitude méprisante qu'il avait adoptée depuis s'était envolée en même temps que son titre de tacticien, mais Veith était en proie à un sérieux dilemme; s'il acceptait ce providentiel refuge avec trop de reconnaissance, il craignait de régresser et de perdre toute dignité, toute envie de gravir à nouveau l'échelle sociale de Daein.
Il fureta çà et là, dénicha bientôt une plaque métallique rongée par la rouille qui fit un substitut acceptable pour la vitre brisée, en plus d'empêcher les regards indiscrets. Le propriétaire pouvait revenir à tout instant, ou bien ne jamais reparaître; il fallait parer à toute éventualité. Ses yeux ayant eu tout le temps de s'habituer aux ténèbres environnantes, il fut en mesure de repérer, à quelques pas de lui, un lit de bois branlant couvert d'une paillasse assez propre et d'un drap grossier de tissu rapiécé. Tout juste ce qu'il lui fallait. Il posa sa canne de fortune contre le mur et se laissa choir sur la literie. Il était encore bien trop faible pour reprendre la route; la blessure qui s'était rouverte sur le chemin avait arrêté de saigner, mais elle ne cicatriserait certainement pas toute seule. Sans soins, Veith n'irait pas bien loin - et cela, il le savait très bien. Contrarié, se sentant plus pitoyable que jamais, il envoya un monumental coup de poing contre une poutre située juste à côté de lui afin de se calmer quelque peu les nerfs. Il était sur les dents, depuis sa descente à Nevassa.
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Depuis combien de temps avait-il repris la route?
Il n'en savait pas grand-chose. En fait, il s'était totalement détaché de la réalité. Passer quatre jours complets avec un cadavre, dans une maison emplie jour comme nuit de ténèbres, n'avait pas vraiment eu d'effet bénéfique sur sa perception du monde.
Lorsque le propriétaire était rentré chez lui, il n'avait pu voir Veith de l'endroit où il se trouvait, une cloison séparant l'entrée de la petite pièce principale. Ce n'était qu'en allant allumer les chandelles dressées sur une petite table qu'il avait remarqué la plaque métallique obstruant la fenêtre. Trop tard: il avait tourné le dos au lit et, dans un large mouvement, le tacticien s'était penché en avant, enfonçant entièrement la lame d'une petite hache qu'il avait trouvée au mur dans le dos du malheureux. Il en avait profité pour le fouiller, ne tardant pas à trouver un petit panier d'osier à côté du corps sans vie. Apparemment, cet homme était allé s'approvisionner au marché noir, bien moins cher que les boutiques régulières et indispensable aux plus pauvres; il n'en avait pas ramené beaucoup de vivres, mais il n'était que peu judicieux de faire la fine bouche au vu de la situation.
Ayant oublié depuis fort longtemps ce que signifiait la privation, Veith avait fait une petite erreur de calcul: le lendemain, les provisions avaient été entièrement consommées. Il se fit une raison, passa quelques journées à endurer la faim, la soif et, plus terrible encore, la solitude; et, se sentant devenir fou, il s'était décidé à mettre les voiles tant qu'il le pouvait encore. La disparition de sa pauvre victime pouvait attirer les soupçons: il valait mieux être loin lorsque le corps serait retrouvé. Lorsqu'il s'était mis debout, il avait constaté avec soulagement que sa cheville gauche était en assez bon état pour permettre une marche normale; elle avait désenflé, ne laissant qu'un énorme bleu et un élancement douloureux à chaque appui comme souvenir de sa présence. La foulure avait dû être, en réalité, évitée de très peu. Enfin une bonne nouvelle.
Il avait donc quitté sa planque durant la nuit, avec un seul but: s'éloigner le plus possible de Nevassa, voire même de Daein. Du moins, temporairement. Et, à nouveau, la chance lui avait souri: il avait fini par croiser la route d'un groupe de nomades. Si ceux-ci étaient traités, à Daein, de manière presque aussi méprisante que les Laguz, ils n'en conservaient pas moins un sens aigu du devoir et une solidarité à toute épreuve. Voyant ses blessures, ils le recueillirent, soignèrent magiquement ses plaies ouvertes; on peut d'ailleurs affirmer sans le moindre doute qu'ils lui sauvèrent alors la vie, la chair ayant déjà commencé à pourrir autour de la double entaille béante qui barrait son ventre. Et, le temps qu'il se rétablisse, ils le conservèrent parmi eux.
Veith leur raconta son histoire - du moins, ce qu'il pouvait leur en dire sans se mettre en danger. Il leur décrit ce qu'avait été son enfance à Nevassa, l'enfer de devoir voler pour manger à sa faim; il leur conta sa persévérance dans l'apprentissage du tir à l'arc, ses expéditions de plusieurs jours dans les bois pour chasser quelque gros gibier qui pourrait convaincre ses parents qu'il n'était pas qu'un fardeau. En revanche, il garda pour lui son entrée comme tireur dans l'armée de Daein, ainsi que ses achats réguliers d'ouvrages de maîtres afin de tout connaître sur la tactique militaire; il passa sous silence l'épisode durant lequel il s'était distingué en donnant des directives à son unité après la mort de son capitaine, renversant le cours de la bataille mais également celui de sa vie - car c'était après cela qu'Ashnard l'avait mis à l'épreuve comme tacticien, rôle dans lequel il s'était épanoui jusqu'à son renvoi musclé. A la place, il monta une histoire de toutes pièces: il raconta qu'il avait tué un quelconque gradé qui menaçait les civils plus faibles que lui, mais, ayant volé les beaux habits que portait sa victime, qu'il avait été repéré et laissé pour mort non loin de là. Cet alibi lui évitait d'avoir à répondre des actes de barbarie réguliers commis par l'armée de Daein contre les différentes communautés nomades qui traversaient le royaume.
Bien sûr, Veith non plus n'aimait gère les nomades, mais il ne le montrait pas - il ne le pouvait tout simplement pas. Il était dans son intérêt de se taire et de faire mine de se lier d'amitié avec eux; il en allait de sa propre vie. Finalement, lorsque le jour du départ arriva pour la tribu, on lui donna vêtements et provisions, ainsi qu'une hache en bon état - on avait voulu lui confier un arc, mais il avait décliné l'offre, prétextant un désir de vouloir améliorer sa condition physique pour s'endurcir par lui-même. Et chacun partit de son côté: tandis que la petite communauté se dirigeait vers Criméa - donc, vers une mort certaine, le tacticien ingrat ne les ayant pas informés de l'assaut imminent -, Veith alla chercher refuge dans le seul royaume qui représentait encore un abri sûr. Afin d'échapper aux répugnants sous-humains et aux guerres incessantes, un unique choix s'imposait.
Begnion.
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Veith n'appréciait pas Begnion. En fait, il n'appréciait que ce qui pouvait lui être utile; ce détail n'a donc pas une importance exceptionnelle. Malgré ses réticences, donc, il s'installa quelque part à l'est du territoire de la théocratie et fit... eh bien, pas grand-chose, finalement. Il s'engagea comme bûcheron dans une petite scierie locale, afin de faire de la hache le prolongement naturel de son bras sans pour autant devoir s'exposer au danger - comme, par exemple, les mercenaires ou les soldats. Cette vie était derrière lui, pour le moment.
Pourquoi s'entraînait-il, exactement? Lui-même n'aurait pas su le dire. Une intuition, peut-être. Mais les raisons importaient peu. Ses collègues du moment se souviennent encore de lui comme d'un compagnon relativement agréable, pas très bavard et fuyant les tavernes comme la peste; un bosseur assidu qui faisait un boulot assez loin de la perfection, mais dont les quotas étaient parfaitement réguliers. En bref, un "bon gars", comme on disait là-bas.
Avec ses salaires, Veith reprit ses achats littéraires. Traités sur l'Ancien Langage, sur l'Histoire de Tellius, simples romans... ou, plus terre-à-terre, journaux de Begnion. Et c'est par ce biais qu'il apprit dans quel état avaient été laissées les terres du Roi Ramon, mais également qu'il commença à fortement s'intéresser au voyage entrepris par une petite troupe de mercenaires, originaire de Criméa. Le bretteur et meneur du groupe, Ike, avait du cran; âgé d'à peine deux ans de moins que lui, il osait partir en campagne à travers le monde, comptant sur le soutien de ses compagnons d'armes pour avancer. Quelque part, le tacticien l'enviait: s'étant toujours entièrement reposé sur sa position au sein de l'armée de Daein, voilà qu'il se retrouvait sans but aucun. A quoi servait sa liberté nouvellement acquise s'il ne savait pas quoi en faire?
Lors du bref passage des Mercenaires de Greil sur le territoire de Begnion, Veith songea sérieusement à les rejoindre afin de s'endurcir, cette fois moralement. Malheureusement, alors qu'il s'apprêtait à se lancer à leur suite, il apprit leur but immédiat: désormais intégrés aux armées de l'Impératrice Sanaki, ils comptaient apparemment traverser Daein et passer en force la frontière du royaume annexé par Ashnard, pour finalement éliminer le Roi Fou lui-même! Voilà qui changeait tout... Le tacticien n'avait pas échappé de justesse à la mort, fuyant au passage sa patrie, pour retourner se jeter de lui-même entre les griffes de la monstruosité qui lui avait jadis servi de seigneur! Certes, il n'avait jamais ignoré les motivations d'Ike et de son groupe, mais, naïf comme à son habitude, il avait tout naturellement pensé que plusieurs mois d'entraînement leur seraient encore nécessaires pour défaire Ashnard, et qu'il aurait donc pu en profiter pour s'améliorer avant de s'éclipser discrètement au moment du combat final... Bah, après tout, s'ils comptaient se suicider, c'était leur affaire. Lui, il avait tâté de l'incommensurable puissance du souverain et de sa lame: il n'irait pas s'y exposer une seconde fois pour tout l'or du monde.
Pourtant, peu de temps après, la nouvelle tomba: par la main même du jeune épéiste, et grâce au pouvoir de sa lame divine, le Roi Fou était mort. Cet incroyable dénouement fit l'effet d'une bombe dans le monde entier; chez Veith, l'effet fut différent et le perturba énormément. Ike avait, en l'espace de quelques mois, accompli des prouesses qu'aucun autre être humain n'aurait pu égaler; ce simple mercenaire avait guidé la princesse retrouvée d'un royaume tombé en disgrâce tout autour de Tellius, avant d'être anobli par la femme la plus influente du continent et mis à la tête d'une armée capable d'écraser n'importe quel pays en un clin d'oeil. Dans la foulée, il avait mis Elincia sur le trône qui lui revenait de droit, éliminant au passage l'ennemi public numéro un. Etait-ce là le pouvoir de la détermination, la force accordée seulement à ceux qui tentaient de plier le destin à leur volonté? Ce résultat, l'obtenait-on à coup sûr en faisant des sacrifices pour avancer, encore et toujours?
Que perdrait-il à essayer, mis à part ce poids qui broyait son coeur depuis son départ de Daein?
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Veith passa les deux années suivantes sur les routes, avec sa hache pour seule compagne. Enfin, presque; il avait également, avec son tout dernier salaire en tant que bûcheron, fait l'acquisition d'une petite roulotte et de deux puissants chevaux, afin d'emporter avec lui ses effets personnels. Il était, certes, un peu matérialiste, mais il tenait surtout au contenu de sa bibliothèque, qu'il avait réussi à recréer patiemment après avoir déjà perdu un nombre énorme d'ouvrages - restés au château royal de Daein, naturellement.
Au début, il n'avait pas su où aller. Avec la victoire de Criméa et de Begnion, le tacticien n'avait pour ainsi dire plus de patrie. Rien ne l'attendait, à Nevassa; il ne pouvait pas reprendre son rôle originel de tacticien, et ses parents le croyaient mort. De toute manière, il ne serait pas retourné chez eux: s'il était entré dans l'armée, plusieurs années auparavant, c'était justement pour échapper à l'unique train de vie qu'ils étaient en mesure de lui offrir - celui des misérables, des déchets de la société. Ce qui était également la raison pour laquelle il n'avait pas sollicité leur aide après avoir été grièvement blessé par le tranchant impitoyable de Gurgurant.
Et puis Veith avait baissé les bras; cessant de se torturer, il avait cheminé droit devant lui, sans plus se demander où il finirait par atterrir. Après avoir contourné les épaisses forêts de Gallia, il fit son premier arrêt dans le sud-est de Criméa, où il travailla un temps comme mercenaire - il avait décidé de suivre le même chemin que le Héros de la Guerre du Roi Fou, et s'y tiendrait. Alors qu'il commençait à gagner une certaine notoriété, il repartit comme il était venu; on le revit plus tard aux alentours de la Forêt de Serenes, à étudier les stèles anciennes en mettant à l'épreuve sa connaissance de l'Ancien Langage.
C'est en se déplaçant à nouveau qu'il eut affaire à un phénomène pour le moins curieux. Partout où il allait, les plaines et les villages paraissaient totalement déserts; certaines campagnes autrefois animées n'avaient désormais pour seule visite que celle du vent qui faisait craquer les branches. Et puis il y avait la lueur; un éclat surnaturel, attirant et menaçant à la fois, exerçant sur lui un irrépressible magnétisme. A en juger par sa carte et sa boussole, cette irréelle manifestation provenait de Sienne, la capitale de Begnion. Il s'était apparemment passé quelque chose, et ce ne pouvait être qu'un événement grave ayant pris une ampleur exceptionnelle. L'empire paraissait si intouchable que Veith était incapable imaginer une autre possibilité. Curieux, inquiet, mais également leurré par cette radiance comme un moustique filant vers une lampe à huile, il préféra voyager jusqu'au lieu concerné au lieu de fuir ce qu'il ne pouvait comprendre.
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- Nous sommes les Elus de la Déesse, chers camarades. Nous incarnons sa volonté! Veiller sur cette Tour est notre tâche, confiée par la grande Ashera elle-même. En retour, elle veillera elle aussi sur nous, depuis le sommet de ce brillant édifice! Alors, soyez prêts à...
Le tacticien détourna son attention du seigneur Lekain. Une fois de plus, le vieux sénateur se sentait obligé de motiver ses troupes; il avait érigé une estrade non loin de la Tour, et discourait depuis près d'une demi-heure. Ses soldats et fidèles étaient suspendus à ses lèvres, véritable marée humaine aux parures teintées de rouge et d'or scintillant comme mille soleils. Sauf que ce n'était pas le jour qui leur donnait leur éclat, mais la divine lumière émanant du bâtiment au sommet duquel attendait la Déesse.
- ... groupe de cet Ike qui trahit sa propre créatrice, renie sa Déesse et se dirige vers la Tour avec l'impudence de croire qu'il pourra se mesurer à elle! Sachez que le pouvoir de...
La présence de Veith découlait directement de sa décision de venir vérifier ce qui se passait à Sienne. En approchant des abords de la capitale, il avait vu les premiers hommes changés en pierre; quelques soldats en premier lieu, puis des civils, en nombre bien plus important à mesure qu'il s'approchait des premiers quartiers résidentiels. Là, il était tombé nez-à-nez avec un petit détachement de guerriers provenant des troupes de Lekain, qui s'étaient empressés de lui expliquer la situation. D'après eux, la Déesse Ashera était enfin sortie de son long sommeil et avait puni les hommes, Beorc comme Laguz; seuls ses élus et quelques rebelles avaient échappé au châtiment, contexte qui mènerait inévitablement à un conflit ouvert. La situation échappait totalement à la compréhension du tacticien, mais il était certain d'une chose: tout aussi habile qu'il fût, il n'échapperait pas à une armada entière d'illuminés fanatiques, d'autant plus que ceux-ci n'hésiteraient probablement pas une seule seconde à le passer par le fil de leurs épées s'ils en venaient à avoir le moindre doute sur la sincérité de ses convictions.
Mais... Que venait-il d'entendre, à l'instant? Voilà qu'on lui annonçait soudainement que le Héros de la Guerre du Roi Fou, Ike, prévoyait probablement de passer en force pour pénétrer dans la Tour! S'il restait ici, Veith serait forcé de l'affronter, sans le moindre doute. Or, non seulement il ne désirait nullement croiser le fer avec un homme suffisamment puissant pour avoir défait Ashnard - qui avait lui-même failli l'occire -, mais il comptait tant sur lui, sans vraiment se l'avouer, qu'il ne pouvait se résoudre à s'opposer à lui. Malgré tout, il ne savait pas comment réagir. S'il fuyait et que le fils de Greil échouait dans sa tâche, une divinité étant d'un calibre totalement différent de celui du plus puissant des tyrans, il serait traqué ou, au mieux, définitivement exclu de ce qui était peut-être la seule communauté d'êtres encore capables de tenir une conversation. En revanche, s'il combattait, il risquerait sa vie pour une cause qui ne représentait rien pour lui.
A choisir, il préféra retarder l'inéluctable, chérissant malgré tout un mince espoir quelque part au fond de sa conscience - l'espoir de voir Ike vaincre une fois encore. Sitôt la prise de parole de Lekain finie et les instructions de ce dernier communiquées à tous, Veith prétexta un tour de garde afin de filer à l'anglaise, conservant tout de même l'armure légère qui lui avait été confiée à son arrivée. Une fois de plus, il fuyait, et le lendemain même de son arrivée... Discrètement, il alla chercher un nouveau duo de chevaux à l'écurie la plus proche, puis les attela à sa roulotte, restée aux abords de la ville.
- Hé! Là-bas!
Veith sentit son coeur manquer un battement et se retourna, l'arme à la main. A une vingtaine de mètres de lui, une jeune femme lui adressait de grands signes; elle eut une légère hésitation en voyant la hache prête à l'emploi, mais cela ne l'empêcha pas de s'approcher, à une allure cependant plus modérée.
- Dites voir! Je vous ai suivi depuis l'écurie. Vous n'avez pas l'air de faire votre ronde, hein... Est-ce que vous comptez partir d'ici? Hmmm?
- Qu'est-ce que cela vous ferait? Je ne sais pas qui vous êtes. Ne tentez pas de me stopper. De toute façon, je serai déjà loin, lorsque...
- Qui a dit que je voulais vous arrêter? Je viens avec vous. Je n'ai pas grand-chose de prévu, et j'en ai plus qu'assez de cette ambiance. Et puis... une connaissance m'a raconté quel genre d'homme est Ike. Je ne veux pas me retrouver contre lui.
La demoiselle, sans même attendre de réponse, sauta souplement à l'arrière de la petite roulotte. Elle ôta son casque, révélant une longue chevelure corbeau nuancée par une unique mèche couleur de sang; son corps était engoncé dans une cuirasse légère, qu'elle s'empressa d'ôter, révélant une sorte de robe de mage noire et rouge dotée d'une cape. Elle s'assit et se blottit entre deux piles de livres après en avoir au préalable pris un au hasard. Le tacticien la fixa un instant, décontenancé.
- Allez, roulez, fit-elle d'un ton légèrement pressant. Vous verrez, vous ne remarquerez même pas que je suis là. Je me ferai toute petite. Promis!
De toute façon, il n'était plus vraiment temps de négocier; elle s'était installée, et si Veith avait tenté de la déloger par la force, elle aurait dérangé toutes ses petites affaires en se débattant. D'autant plus qu'il ne savait pas de quel type de pouvoir elle était capable de se servir.
Laissant échapper un soupir, il s'installa à l'avant et lança le couple d'équidés blancs au galop.
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Cela faisait environ deux jours que les "déserteurs" s'étaient éloignés, désireux de mettre de la distance entre eux et les troupes personnelles du sénateur Lekain.
Décider de la direction à prendre était un point qui n'avait pas été soulevé, et à juste titre: il n'y avait plus vraiment d'endroit où aller, étant donné que le monde était désormais uniformément vide. Peut-être les puissants dragons de Goldoa, connus pour leurs immenses pouvoirs, avaient-ils résisté au terrible sort de la Déesse; malgré cela, Veith n'avait aucune envie d'aller s'installer, même temporairement, dans un royaume peuplé de sous-humains. Sude - c'était le prénom de la jeune invitée surprise, et également la seule chose que le tacticien connaissait d'elle - ne semblait pas avoir de préférence particulière en la matière. Tout ce qui comptait à ses yeux paraissait être de s'éloigner de cette fichue tour: tant que cette condition était remplie, elle bavardait distraitement avec son chauffeur particulier, tout en dévorant un à un les recueils entassés au fond du chariot.
Sentant son estomac le tirailler depuis quelque temps déjà, signe infaillible de l'arrivée imminente de la pause de midi, Veith stoppa la course des bêtes près d'un petit bosquet. Il descendit du véhicule, secoua distraitement Sude - qui somnolait encore - alors qu'il passait près d'elle pour accéder aux caisses contenant les provisions. Une petite pile d'épis de maïs lui fit envie; il en attrapa une pleine brassée, qu'il posa soigneusement dans l'herbe. Puis, afin de faire griller le tout, il se mit en quête de petit bois, furetant vers les plus beaux arbres en espérant trouver son bonheur.
A son retour, Sude était pelotonnée près d'un feu déjà nourri. Les hautes flammes crépitaient, envoyant des cendres vers les cieux; leurs lueurs dansantes offraient un spectacle féérique en se reflétant dans le regard de la jeune femme, qui ne pipait mot. Comment avait-elle allumé si vite un tel brasier? Peu désireux de rompre le calme ambiant, il s'installa face à elle et entreprit de cuire méthodiquement son premier végétal. Ce n'est que lorsqu'il allait s'apprêter à mordre dedans à pleines dents qu'il remarqua que sa camarade n'infortune n'avait pas fait le moindre geste. Il hésita une seconde, puis se ravisa et lui tendit l'aliment.
- Le réveil est difficile? Mangez. Nous avons encore de la route.
- Mm.
Sans même le regarder, elle posa une main fine et pâle sur le maïs, le saisissant en son centre comme s'il n'émettait aucune chaleur. Elle commença à en picorer les grains un par un, les ôtant du bout des doigts à la manière d'un bijoutier manipulant une pierre de valeur. Ses yeux noirs restaient rivés sur le feu de camp.
- Sude?
Pas de réponse, mais toujours le même mouvement mécanique, répété encore et encore. Veith aurait juré qu'elle se nourrissait uniquement pour ne pas le contrarier, ou bien par simple habitude.
- Sude...
Cette fois, elle sursauta. Elle jeta des regards furtifs autour d'elle, paraissant reprendre ses esprits; apercevant l'expression soupçonneuse du tacticien, elle mordit dans son épi de maïs de façon bien plus enthousiaste, lui adressant un clin d'oeil en avalant sa première bouchée.
- Voilà, voilà. Je mange; voyez plutôt. Et vous, comptez-vous attendre de me voir finir mon repas pour songer à vous sustenter?
- Vous m'aviez l'air bien songeuse, répondit le jeune homme en attrapant l'un des végétaux qui constituaient la base du petit tas, faisant dégringoler ceux du dessus en une course chaotique. Puis-je savoir ce qui vous tracasse? Vous n'étiez pas comme cela, hier. Si les paroles étaient des lames, j'aurais fini exsangue en un rien de temps. Comprenez donc que lorsque je vous ai vue...
- Mffe m'est 'ien... Mes excuses. Je disais: ce n'est rien. Je repensais simplement à... certaines de mes connaissances. Je les ai laissées en plan alors qu'elles pénétraient dans cette Tour. Brrr... Repenser à ce qui se trouvait à l'intérieur me donne des frissons.
- Ce ne doit être que la température. Mais, vous dites donc que vous n'étiez pas seule à Sienne...?
- Mmmmoui. Des gens de mon peuple. Nous avons suivi notre Roi, qui a exprimé son désir de protéger Ashera en servant de rempart contre Ike et son groupe. Il est sage, mais si obtus que cela finira par le perdre un jour.
- Attendez, attendez... Vous avez bien dit: votre Roi? Je pensais que les souverains Beorc restants étaient de sexe féminin; n'est-ce plus le cas?
- Pardon? Oh, c'est vrai. Je n'ai jamais mentionné que je venais de Goldoa. En fait, je-
Veith sursauta si fort que son interlocutrice fut coupée en pleine phrase. Il en lâcha l'épi de maïs qu'il était occupé à faire griller; d'un bond, il se releva, reculant de quelques pas en direction de la roulotte. Sa main erra à tâtons le long de son flanc, entra en contact avec le manche de la hache qui y était suspendue. Sude, quant à elle, fit mine de se lever.
- Que se passe-t-il? Avez-vous vu-
- ARRIERE! RESTEZ OU VOUS ETES!
Cette fois, ce fut au tour de la jeune femme de sursauter. Elle finit néanmoins de se lever, restant à l'écart comme le lui avait intimé le manieur de hache.
- C'est donc cela... Une sous-humaine. Votre apparence m'a trompé. Ne vous approchez pas de moi; je déteste ces... ces animaux répugnants dont vous êtes la représentante!
Sude blêmit; elle baissa soudainement la tête et serra les poings, les muscles de son corps soudainement crispés. Quant à Veith, il était totalement perdu. Il n'avait jamais vu de sous-humain de près, et voici qu'il se retrouvait face à quelqu'un appartenant à la plus puissante et ancienne espèce de Laguz. Elle... lui faisait peur. Pourquoi n'avait-elle pas d'écailles, pas d'ailes? Pourquoi ne se métamorphosait-elle pas sous l'effet de la fureur? Etait-elle réellement humaine, au moins?
Elle bougea, mais pas pour montrer son vrai visage. A la place, elle tira un tome léger des replis de sa longue robe, et l'ouvrit en son milieu. Pleurant de rage, elle jeta un regard noir au natif de Daein, qui sentit un frisson courir le long de son échine mais ne cilla pas.
- Tous identiques. Ces Beorc... A nous traiter comme des bêtes... NOUS AVONS DES SENTIMENTS! JE CROYAIS QUE VOUS L'AVIEZ VU!
- NE ME FAITES PAS RIRE! Vous ne m'aurez pas de cette manière. Un animal reste un animal, même avec deux bras et deux jambes!
- | | L'Ancien Langage? Veith traduisit dans sa tête, à toute vitesse, ce que venait de psalmodier celle qui était désormais son adversaire. S'il ne comprenait pas la totalité de la structure de cette phrase, il avait en revanche parfaitement saisi les mots "lumière divine" et "foudroie". Un sort de foudre? Encore heureux qu'il ait jugé inutile de revêtir les épaulettes de métal, pourtant très pratiques, que comportait l'armure de Begnion! Le manche de son arme étant recouvert d'une matière isolante, précisément en prévision de ce genre de cas, il ne risquait pas l'électrocution s'il en venait à jouer les paratonnerres. Comptant sur ses réflexes, il se jeta brusquement de côté en pleine charge, modifiant ainsi totalement sa trajectoire; positionné au ras du sol, sa hache plaquée contre l'herbe, il observa l'éclair magique invoqué par la demoiselle de Goldoa frapper le sol à l'endroit auquel il se trouvait un instant plus tôt. Malheureusement, le tintamarre cataclysmique qui l'accompagna l'empêcha d'écouter l'incantation suivante, et il effectua un joli vol plané sous l'effet du sort de vent qui venait de le faucher sans ménagement. Le souffle coupé, il se releva quelque peu laborieusement. Il devrait, à l'avenir, éviter d'encaisser les attaques magiques: Sude était puissante, très puissante.
Encore un talent naturel provenant de son fichu sang souillé. Il haïssait les sous-humains. Tous.
Hache brandie à l'horizontale, il repartit à l'assaut. Les lèvres de son ennemie bougeaient sans relâche: l'incantation suivante paraissait très longue. Et, en général, une longue préparation annonçait un pouvoir dévastateur. Il fallait absolument la faire taire!
- | | - Lâchez ça!
Veith abattit son arme sur ce qui était à sa portée: le livre de sorts de la magicienne. Tout en continuant de psalmodier, elle fit une petite pirouette, et la lame acérée ne put qu'entamer légèrement la reliure de cuir de l'ouvrage. C'était mauvais, très mauvais! Sude avait distinctement prononcé le mot "cendres"... Si elle parvenait à finir cette incantation, la Déesse seule savait quelle calamité s'abattrait sur le tacticien. Pire encore: le sort pouvait atteindre le chariot et le démolir totalement, le bloquant ici s'il parvenait à survivre et à vaincre... Il porta un nouveau coup, une frappe de taille qui se voulait dévastatrice mais ne parvint qu'à faire reculer sa cible un peu plus loin, sans la moindre égratignure.
- | | Sude se stoppa en pleine phrase, les yeux rivés sur un point précis de l'horizon. Une ouverture! Veith plongea, et la lame de la hache faucha littéralement le corps frêle de sa victime. Celle-ci s'écrasa au sol, ayant à peine le temps de porter une main tremblante au niveau de sa blessure avant de perdre connaissance. La situation avait été renversée, mais d'extrême justesse. Une bonne chose de faite.
Le tacticien se retourna, désireux de voir par lui-même ce qui avait si facilement perturbé une femme que même un assaut frontal ne parvenait pas à stopper dans sa lecture.
Et il observa, lui aussi, le rideau de lumière qui se répandait sur le monde.
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- Ike a réussi, dirait-on.
Il ne lâcha pas un mot de plus.
Enfouie au fond d'un confortable lit, d'épais bandages enserrant sa taille, Sude leva un regard brumeux vers l'homme de Daein. Pas de réaction hostile? Cela ne valait donc pas la peine de bouger. Elle ouvrit cependant la bouche, disposée à fournir cet effort minimal.
- Pourquoi 'suis pas morte?
Silence.
- Je...
- Je vous ai prise avec moi, répondit-il finalement. Le monde a retrouvé son état normal. Je ne sais pas trop ce qui a eu lieu à Sienne, mais on dirait que notre décision de partir a été la bonne.
- Pourquoi?
- Sans cela, nous aurions dû lutter contre celui qui nous a tous sauvés, non?
- Non... Pourquoi... ramenée?
- ... Croyez-moi, si je le savais, je vous le dirais. Vous m'intriguez, c'est tout.
- Pourquoi? Une... sous-humaine...
- Arrêtez de me questionner et écoutez un peu. Bien. Vous avez dû vous rendre compte que je lis beaucoup. Malgré cela, j'ai grandi en entendant dire partout que les sous-humains étaient des êtres abominablement belliqueux. Je n'ai donc pas cherché à me renseigner sur ce sujet. Et lorsque j'ai su, pour... vous... Si vous voulez, j'ai été ébranlé en sachant qu'un L-Laguz - oh, c'est la première fois que je prononce ce mot -, qu'un Laguz pouvait avoir des sentiments. Qu'il pouvait être humain, tout comme nous. Et j'ai réfléchi. Où se situe la vérité? Etes-vous un monstre, finalement?
Il cessa de parler; après avoir, jusqu'alors, fixé le va-et-vient des passants à travers la fenêtre de la chambre - il s'était rendu compte de l'importance des scènes quotidiennes de ce type lorsqu'il n'avait plus été en mesure d'en voir -, il jeta un coup d'oeil à Sude. Ses paupières mi-closes ne laissaient paraître qu'une infime partie de sa pupille; selon toute vraisemblance, elle s'était rendormie. Mais Veith était intimement convaincu qu'elle avait tout entendu. Peut-être le lui demanderait-il lorsque sa convalescence serait terminée - le médecin en avait estimé la durée à deux semaines, en l'absence de soigneur dans les environs, mais les dragons étaient forts. Elle serait sur pied en un rien de temps si elle restait bien au calme, dans cette chambre d'hôtel. Son chevalier servant y veillerait.
Avec un vague sourire en coin, il s'installa sur son propre lit et se saisit du premier tome d'une trilogie de romans à succès. D'après ce qu'il en avait vu, celle-ci contait le voyage d'un Beorc et d'un Laguz à travers le monde. Un sujet qui tombait fort à propos, indéniablement.
Après avoir contemplé l'illustration pour le moins colorée qui ornait la couverture du livre, il l'ouvrit au chapitre premier et débuta sa lecture.
"Est-il possible pour deux âmes antithétiques de sublimer les qualités humaines? Cette épopée pourrait être réelle..."
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- Et où donc croyez-vous aller, jeune homme?
Le jeune homme en question ralentit le pas, surpris. Le battement régulier de sa hache contre sa cuisse s'atténua, puis disparut tout à fait. Il se retourna; sa chevelure argentée, gorgée du soleil de midi, resplendissait comme un halo divin. Avec son expression de sérénité, son maintien digne d'homme sage, il était tout simplement beau.
Celle qui l'avait interpellé trottina vers lui, sa robe couleur de ciel voletant derrière elle. Avec sa coiffure d'ébène, sophistiquée, et l'élégant habit de dame qui soulignait à merveille ses courbes enchanteresses, elle n'avait plus rien d'une guerrière, ni d'une voyageuse. Elle s'arrêta à quelques pas de lui, le fixa, baissa la tête; l'espace d'un instant, son vis-à-vis reconnut en elle la fragile Laguz qui s'était réfugiée près de la chaleur d'un bon feu de camp, cinq ans plus tôt.
Oui, cinq ans plus tôt...
Après le rétablissement de Sude, Veith avait eu une longue, très longue discussion avec elle. Et il en avait appris plus sur la Laguz en une nuit qu'au cours de la semaine et demie qui venait alors de s'écouler, dissipant finalement certains mystères qui planaient encore sur ses motivations. Ainsi, il avait découvert qu'elle était en réalité âgée de soixante ans et parcourait Tellius depuis trois bonnes décennies. Appréciant peu l'autarcie dans laquelle était plongée Goldoa, reprochant à sa nation son manque d'ouverture, elle avait voyagé de pays en pays en dissimulant ses origines. En effet, elle souhaitait pouvoir découvrir les Beorc sans aucune réaction hostile envers elle; désireuse de bien faire, elle avait même appris à se défendre sans compter sur sa forme animale - ce qui expliquait pourquoi son réflexe immédiat avait été d'utiliser son livre de sorts pour attaquer Veith, et non de se transformer. Quant à sa présence à Sienne, elle était due à un ordre du roi Deghinsea, qui avait convoqué tous les dragons en état de lutter pour qu'ils le suivent et défendent la Déesse. Sude, chez laquelle une soif de liberté purement Beorc avait chassé le tempérament réservé de son peuple, n'avait obéi qu'à contrecoeur; lorsqu'elle avait appris qu'elle était censée lutter sous sa forme draconique pour faire honneur à Goldoa, elle s'était carrément enfuie de la Tour, consciente de son manque d'entraînement en la matière. On l'avait prise pour une Beorc, et on lui avait confié de l'équipement; peu de temps après, elle avait fait la rencontre du guerrier de Daein.
La Laguz avait également exprimé une volonté. Elle désirait revenir vivre sur les terres qui l'avaient vue naître, mais pas seule: elle avait envie de faire découvrir les paysages de Goldoa au tacticien, de le débarrasser de sa peur des Laguz. De l'habituer à la société des dragons, aux individus qui la composaient, à la manière de penser des siens.
Voilà pourquoi Veith était ici depuis cinq ans.
Avec une lenteur étudiée, il s'assit en tailleur au beau milieu de l'herbe, après avoir posé sa sacoche de cuir près de lui. Son amie fit de même, prenant garde à ne pas abîmer sa jolie robe.
- Je suis désolée d'être venue. Ai-je mal fait? demanda la belle, se mordant la lèvre inférieure.
- Oh... En vérité, j'aurais dû te prévenir ce matin. Je n'ai simplement pas eu le courage de te réveiller. Mais attends... Tu as fait tout ce chemin juste pour me voir?
- J'ai volé, fit-elle simplement en accompagnant sa réponse d'un petit geste agacé. Cela m'est toujours aussi peu agréable. Moi qui me suis habituée à ce corps de Beorc...
- Tu n'es pas venue pour me demander si tu pouvais venir avec moi, j'espère? Ni pour me convaincre de rester? De toute manière, je n'ai jamais pu être totalement à l'aise, dans une société composée de dragons. Je te l'ai déjà dit.
- Non, sois tranquille. Regarde-moi; ma tenue n'est pas vraiment celle d'une voyageuse. Et je sais bien que les raisons qui te poussent à partir te sont personnelles.
- Ces massacres de Beorc, de Laguz... Tout ceci va influencer les gens. Les peuples. Eux n'ont pas tous eu la chance d'avoir quelqu'un pour leur faire découvrir les meilleurs côtés de la race qui n'est pas la leur. Je ne peux me résoudre à rester dans mon coin et à attendre, alors que je suis si bien placé pour leur expliquer ce qu'il en est réellement.
- Bienvenue dans mon monde. Enfin... Avec trente ans de retard.
Un instant de silence accueillit cette remarque. Veith évita soigneusement de croiser le regard de son interlocutrice.
- Bon, fit-il finalement. Je crois que je devrais reprendre la route.
- Même sans arpenter les routes à tes côtés, je serai avec toi par la pensée. Rappelle-toi de cela lorsque tu en auras besoin. Tu pourras te défendre sans moi, j'imagine?
- Pas d'inquiétude. Je compte reprendre ce bon vieil arc, maintenant que la face du monde a été changée. Je ne risque plus d'être reconnu. Et puis, la seule femme dont dépend ma vie est ici, faite de métal et accrochée à ma ceinture.
- Je... je vois.
Aïe. L'avait-il vexée? Trop tard pour se rattraper. Faisant une légère grimace, il détourna la tête, sentant le sang lui monter aux joues.
- Que fais-tu encore là? Tu devais reprendre la route, non? Allez, file, lança brusquement Sude. Puis, sur un ton plus doux: Avant que je me mette à pleurer.
- Tes désirs sont des ordres. Je repasserai dès que j'en aurai l'occasion, c'est promis!
- Il y a... il y a intérêt! Je ne débuterai aucun nouveau voyage, juste pour cela!
Devant cette mine faussement contrariée, Veith éclata de rire tandis qu'il se remettait debout, saisissant dans le mouvement la courroie au bout de laquelle était fixé son unique bagage. Il replaça le tout sur son épaule - du côté gauche, sa hache étant déjà placée à droite -, se retourna et entama de gravir la pente qui lui faisait désormais face. Et, alors qu'il parvenait en haut, un ultime cri lui parvint:
- Lorsque tu seras revenu, j'aurai quelque chose à te dire!
L'homme de Daein tourna simplement la tête, juste assez longtemps pour discerner les larmes qui roulaient le long des joues de la Laguz.
Il lui adressa un grand signe de la main et disparut de l'autre côté de la colline.
Devant lui, un vaste champ de fleurs.
Pas de raison de s'abandonner à la tristesse.
Aller de l'avant. Toujours. Lorsqu'il reviendrait, les retrouvailles n'en seraient que plus heureuses.
Il sourit. Bêtement, comme cela.
Le monde était si beau.
Grand.
Vivant.
Il marcha...
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"[...] Cessez, mes fils! Il est mauvais de lutter entre vous. Ces fauves sont leurs propres maîtres; ne guerroyez point, aimez-les comme vos frères. Seul est noble celui qui aspire à n'être ni tyran, ni esclave." - La Griffe et l'Epée, Tome II
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