La Nuit.

J'ouvre les yeux. Où suis-je ? Que suis-je ? Le monde qui m'entoure m'est inconnu. Il m'est étranger. Je me sens étranger. Je lui suis étranger ?

Il n'y a pas les couleurs. Le ciel est gris, les nuages sont pâles, inexistants. La terre est terne. Il n'y a plus les couleurs. Le vent est décoloré, lui aussi. Sans vie. Il n'y a que le silence, qui me fait peur. Il me murmure un instant, puis hurle sauvagement l'instant d'après. Il bourdonne, rampe, gronde à mes côtés. Il est partout à la fois. Il ne veut pas partir. Il n'y a que lui. Lui, et ce monde sans couleurs.

Il y avait un soleil avant. Un grand soleil, qui brillait sur ce monde. Il brillait haut dans les cieux, de mille et une couleur. Le soleil est parti. Il ne nous a laissé que les ombres, reflets sombres et discrets de notre silhouette. Il n'y a plus le soleil. Juste le silence, et ce monde sans couleurs.

Que faire ? Où aller ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. J'ai perdu la connaissance. Le savoir. Savoir qui je suis, où je suis. Savoir ce qui m'entoure, ce qui me compose. Savoir pourquoi je suis ici, comment suis-je arrivé ici. Le temps est parti. Je ne sais plus ce qu'il y avait avant, ce qu'il y a maintenant. Et j'ai peur, car je ne connais pas la suite. J'ai perdu le souvenir. Les souvenirs. Ces petits fragments de moi, minuscules, qui assemblés ensemble forme un vaste tout. L'essence la plus pure de mon être. Je ne me souviens plus de ce qu'étaient ce soleil, ce ciel d'un bleu éclatant, ces nuages au blanc virginal. Je ne me rappelle plus de la chaleur qu'il apportait, de la couleur qu'il diffusait. Il est parti, et mes souvenirs se sont évaporés. Tout comme mes rêves.

Il n'y a désormais qu'une horde de cauchemars qui grouillent dans mon sommeil. Des ombres qui se mouvent dans mon dos, des bruits qui me fuient. Des odeurs et des goûts qui s'envolent, et pas même le contact du feu et de la glace vient me hanter.

J'ai perdu quelque chose d'autre. Mais je ne sais pas quoi. Quelque chose en moi. Est-ce ce sourire ? Est-ce un fragment plus grand encore ? Peut-être.

J'ai perdu mes pêchés. Ceux qui faisaient de moi une personne, qui me poussait à vivre. J'ai perdu l'envie, l'avarice, l'avidité. Le besoin de rassembler sous ma bannière, de protéger. J'ai perdu la gourmandise, l'envie de manger, le plaisir de l'appétit. J'ai perdu la colère, la flamme qui crépite au fond de mon être. L'orgueil me quitte, et l'acédie paresse. Le goût de la chair me quitte.

J'ai perdu le choix, la volonté. Il ne me reste que des issues. Rester sur place, ou non.

J'ai perdu les larmes, le sourire. J'ai perdu la douleur, le bonheur.
Il ne reste que ce monde sans couleurs, ce jour nocturne, et ce silence bruyant.

Mais soudain, le ciel s'assombrit, les nuages se meurent. Et éclosent alors des lucioles que mon maigre bras n'atteindra jamais. Elles brillent d'un éclat bienveillant, et sont là. Une autre présence. Et dans le silence sans couleur, elles m'appellent. Dans la Nuit, elles m'appellent. Pourquoi ?

Elles doivent savoir qui je suis, elles doivent me connaître. Alors je me lève, et marche fébrilement.
Marcher, c'est la survie. J'ai perdu la vie. Il ne me reste que la survie, et chercher la vie que me guide les étoiles. Je dois vivre. Je ne dois pas mourir. Je ne veux pas mourir. Personne ne veut mourir. Personne ne doit mourir. Si je suis un méprisable, je n'en reste pas moins un vivant, un humain. Et une vie précieuse qu'on m'a léguée, et que je dois aller récupérer. Je ne dois plus survivre. Je dois aller chercher la vie, pour les étoiles qui me sont apparues cette nuit. Je dois me retrouver, pour ces étoiles qui ont veillé sur moi, et qui continueront d'apparaître à chaque nuit.

Je dois retrouver les larmes, le sourire. Je veux les retrouver.
Je veux revoir les couleurs, les voir inonder mon regard. Je veux écouter le chant du monde, le murmure des couleurs qui dansent autour de mes oreilles. Je veux pouvoir sentir mon coeur battre à nouveau, contre cette poitrine, sur ce corps. Ce corps qui doit vivre, en hommage à ceux qui ont contribué à lui donner et maintenir vie. Alors je marche, je respire. L'horizon me fait peur, couvert de brume. Mais j'affronterai la brume, pour retrouver la vie qui m'appartient.

Je dois reprendre mes rêves, leur donner une réalité. Je chasserai les cauchemars qui peuplent mon sommeil, au nom du silence. J'ai le devoir de le faire. Ainsi je pourrai de nouveau avoir le choix dans cette vie. Ainsi je saurai à nouveau. Je saurai qui j'étais, ce que je suis, et ce que je serai.

Je marche, plus assuré. Je sens ma respiration, mon pouls. Je sens mes jambes, mes bras. Je marche vers la vie. La vie, la conscience de la finalité, le besoin de l'éphémère de laisser une trace éternelle. Je ne veux pas disparaître sans laisser de trace. Alors j'irai chercher mes souvenirs. Ils sont précieux, et doivent être éternels. Se diffuser comme la lumière du soleil, de chair en chair. Pour que le souvenir de la vie des disparus continuent d'exister éternellement.

J'irai chercher ces beaux souvenirs, guidé par les étoiles. Ils ne doivent pas être seuls. La solitude doit les effrayer. Je veux les retrouver, les protéger, et les chérir.

Et ce jour-là, j'aurai retrouvé la Vie, et je pourrai sourire et pleurer devant la Lune que le Soleil m'a laissé autour des Étoiles.