Depuis sa plus tendre enfance, Leanne avait appris à identifier ce qu’elle pensait être mal ou bien à l’aide de limites très stricts. La guerre était mauvaise, elle perturbait l’équilibre naturel du peuple héron, les rendait vulnérables. Lorsqu’on vivait dans un monde peuplé de créatures de paix à la pureté irréprochable, il était simpe de rester sans arrêt du « bon côté ». Même confronté à la différence, un laguz héron savait faire preuve de respect et de chaleur. Il arrivait parfois que l’un d’entre eux franchisse toutefois une de ces barrières si facilement évitable pour une enfant comme Leanne. Elle n’arrivait pas à comprendre l’attitude extrême de ces meurtriers, voleurs, pilleurs, et autres malfrats. Cependant, il y a des moments dans la vie d’une personne qui lui permettent de se remettre en cause d’une manière fondamentale. Il s’agit souvent de rencontres fortuites qui se révèlent étonnamment enrichissante. La princesse avait vécu l’un de ses moments la veille en discutant avec Samael, prêtre charmant et responsable de la chute du royaume de Serenes. Plongée dans ses pensées, elle ne savait plus en quoi croire. Elle avait toujours pensé que l’amour était l’union absolue d’un homme et d’une femme, un sentiment bon et pur qui poussait chacun à donner le meilleur de soi-même. Et elle espérait d’ailleurs un jour rencontrer un homme charitable et aimant avec qui elle pourrait partager le reste de sa vie. La question de la sexualité l’avait toujours troublée, ne sachant réellement ce qu’elle devait penser de cela. Après tout, le sexe entre deux personnes n’avait rien de « mauvais », mais c’était une expérience déroutante et un terrain inconnu dans lequel Leanne ne se sentait pas prête à s’engager. Toujours est il que sa rencontre avec le prêtre avait chamboulé tout ce que la jeune fille pensait savoir de l’amour. Désormais elle se rendait compte que c’était également une force destructrice qui pouvait pousser à commettre d’horribles actes et elle n’était plus vraiment sûre d’avoir envie de vivre cela.

Plongée dans ses pensées, Leanne marchait dans une ruelle agitée. Des enfants courraient dans tous les sens, des marchands ventaient les mérites de leurs produits et des hommes négociaient le prix de ces mêmes objets. Une ville comme il y en a tant et pourtant aux yeux de la jeune femmes, tous ces gens semblaient différents. Elle avait toujours eu l’habitude de porter des jugements hâtifs sur les personnes en entendant leurs pensées, à ce jour, la laguz voyait les choses d’une manière légèrement moins radicale, évitait de se faire une idée sur les gens en surprenant les bribes d’une conversation mentale. Déguisée en une ménestrelle, Leanne trébucha bientôt sur le sol, un homme fort aimable la rattrapa dans sa chute et l’aida à se relever. Enfin, c’est ce qu’elle crut au premier abord, cependant, il était évident que les intentions de cet homme était bien différentes.

*Plutôt jolie, elle n’a pas l’air très agile mais on doit bien pouvoir en tirer au moins cinq cents écus.*

La pensée avait jailli dans le cœur de Leanne comme un vent qui la glaça jusqu’aux os. Cet homme souhaitait la vendre ? Sans attendre, elle voulut s’enfuir en courrant mais le brigand l’attrapa par les vêtements et, plaçant sa main sur la bouche de la princesse, l’emmena le plus loin possible des regards indiscrets. L’espace d’un instant, l’homme se demanda s’il ne pouvait pas profiter un peu de la « marchandise » avant de la vendre, mais il se reprit aussitôt, il ne fallait pas l’abîmer. A l’aide d’un complice qui avait assisté à la scène, il l’emporta loin de la ville, sans même prendre le temps de vérifier s’ils n’étaient pas suivis.