Nevassa, cité principale du royaume de Daien, abritant le château en son centre d'où régnait la reine Micaiah. Et plus en périphérie, dans le quartier commerçant, loin de la Cour et autres modalités, une taverne, faisant aussi office d'auberge. Un tripot, une des plus grandes tavernes de la capitale cependant, suffisamment grande pour accueillir une centaine de clients. Et hormis les tables et le comptoir du barman, qui essuyait sans cesse le même verre depuis le début de la matinée ceci dit en passant, il y avait une scène.

Sur la scène, un ménestrel jouait un air de Lute assez folklorique, afin de mettre une ambiance chaleureuse autant chez les hommes que chez les femmes. Il était là depuis un petit moment déjà, et en ce début de soirée, rien ne semblait pouvoir arrêter ses doigts pinçant et grattant les fines cordes de l'instrument. Mais contre toute attente, lorsque les cloches sonnèrent pour annonçer les dix heures du soir, le barde s'arrêta de jouer, puis quelques applaudissements se firent entendre de la part de l'assistance. Mais au lieu de recommencer un autre morceau, il prit une chaise et s'assit sur la scène, frappant ensuite des mains pour se faire entendre. Puis apposant sa main sur son cœur, il commença son récital.

"Messieurs, mesdames et demoiselles, ♫
J'aimerais que votre attention soit telle ♫
Que vous puissiez boire les mots qui vont suivre ♫
Sans pour autant dépenser une seule pièce de cuivre ♫
J'aimerais vous conter mes aventures passées ♫
Où, durant un mois durant, j'ai pu fréquenter ♫
Trois jeunes Laguz, tous frères et sœurs ♫
Qui ont bien voulu m'ouvrir leurs cœurs ♫
En cette période noire que nous franchissons ♫
Il y a pourtant un espoir que tous nous recherchons ♫
Celui de l'égalité, de la liberté et de la fraternité ♫
Malgré nos races, n'oublions pas que nous sommes nés ♫
De la même mère, celle qui nous a tout donné ♫
Ashera, si tu m'entends, bénis-nous en cette soirée ♫
Que nous soyons Beorc, Laguz, vils ou bons ♫
Car moi, simple poète et ménestrel de vocation ♫
Ait vécu la plus sensationnelle des expériences ♫
Celle de vivre au plus près d'eux, j'ai eu cette chance ♫
Tout a commencé à Gallia, immense territoire boisé ♫
Où trois chats ont accepté que je puisse les accompagner ♫
Et durant ce temps, j'ai pu vivre au même pied d'égalité ♫
Gentils, courtois, solidaires, possédant leurs subtilités ♫
Ce petit charme qui ne peut pas laisser indifférent ♫
Qui d'autre aurait-il pu développer un tel sentiment ? ♫
Car malgré les mœurs qui différencient nos deux races ♫
Ils sont tous comme nous, et ont comme nous notre place ♫
Sur ce continent qui, je le sais, saura un jour s'éveiller ♫
Pour qu'ensemble on puisse enfin parler de paix et d'amitié ♫ "

Le ménestrel continuait son monologue, ayant la moitié de la salle en public, les autres l'ignorant ou se retenant de se lever et de casser la tête de ce fanfaron qui ne savait pas se taire sur un sujet délicat, voir trop pour certains. L'animosité pouvait se sentir, et éclater à tout instant.

"Quel abruti ! Les sous-humains seraient nos égaux ? Je vais lui apprendre, moi !"

Dit un homme ivre avant de s'étaler au sol. Jyrkain avait laissé un blanc comme si le destin l'avait voulu, afin que tous puissent admirer cet individu et sa maladresse involontaire. Le ménestrel vit qu'il s'embrouillait avec un autre homme, et ne put s'empêcher d'éclater de rire, avant de reprendre la parole rapidement à l'encontre de cet homme.

"Voyez monsieur, et écoutez malgré votre état enivrant ♫
Si je suis abruti, vous n'en demeurez pas moins ignorant ♫
Vous les traitez de sous-humains sans les avoir connu ♫
Moi si, et c'est là où par votre accusation je suis si ému ♫
Mu par la colère et l'indignation de voir un Beorc ici même ♫
Dire du mal à des Laguz que j'apprécie, voir que j'aime ♫
Et vous, simple d'esprit que vous êtes, ivre et stupide ♫
Vous pensez me faire la morale de manière si insipide ? ♫
Car eux que vous traitez de sales bêtes, de sauvages ♫
Sont plus humains que vous tous, et bien plus sages ♫ "

Il se jouait de cet homme qui maintenant, était déchiré entre coller son poing dans la tête de l'homme l'ayant fait tomber, ou bien de ce ménestrel effronté...

Le ton de Jyrkain devant autant de violence prononcée soit à son égard, soit à autrui monta d'un cran. Il voulait se montrer plus incisif et surtout plus percutant. Si les belles paroles de chants ne pouvaient les faire comprendre leurs erreurs, dans ce cas un bon coup de pied à leur morale serait idéal dans cette situation.

"Bien, je vois que vôtre éthique est bien basse... Je suis déçu, déçu d'être humain, malencontreusement chagriné de voir ce genre de comportement bestial que vous osez utiliser après de qualificatif pour nommer un Laguz. Vous vous laissez tous emporter par les apparences, mais aucun de vous n'ose les regarder non pas avec ses mœurs et ses valeurs, mais avec son cœur.

Moi je l'ai fait, et j'en suis ressorti grandi. Si la Déesse vous voyait aussi médisants les uns des autres envers une race qu'elle n'essaye même pas de comprendre à cause des apparences, elle aurait honte de vous."

Il posa sa main sur son torse en déblatant ce qu'il avait sur le cœur, cherchant peut-être une meilleure solution de parlementer... Ou bien de fuir maintenant, avant que ça ne dégénère trop, en fait.

Là, c'en était trop. Bien qu'il affichait un sourire des plus charmés, on pouvait apercevoir en s'y attardant bien comme une petite veine sur le front de Jyrkain. On ne savait s'il était offusqué par cette ambiance à la limite du racisme qui se profilait, ou bien la simple parodie de sa personne que venait de faire l'homme à la mèche. L'art est bien trop noble pour que l'on s'en moque de la sorte, aussi Jyrkain reprit son lute et commença à composer un air lent, à la limite de l'inquiétant et u lugubre.

"Ashera, mère de toutes les mères ♫
Toi qui a su créer le ciel et la terre ♫
Tes fils font honte à leur propre race ♫
Sans ne cesser de se voiler la face ♫
Je m'accorde le droit divin de punition ♫
Afin de faire comprendre à tes rejetons ♫
Qu'il y a des limites à ne pas dépasser ♫
Ainsi que des règles à ne pas transgresser ♫
Voyez ici bas le courroux d'un ménestrel ♫
Qui demande maintenant de cesser querelle ♫ "

D'une voix grave et presque monotone, il chantait cet air en fusillant du regard chacun des badauds présents dans cette taverne, utilisant le contrecoup de son hymne pour donner quelques sueurs froides au public, et au passage leur faire ressentir une boule dans le ventre qui ne saurait s'éxpliquer par la simple logique. La force de l'art dans toute sa splendeur, bien que Jyrkain détestait en vérité à s'en servir de façon malsaine, mais la situation dérapait trop à son insu et il chantonna son hymne pour faire rasseoir les badauds debout tout en leur inspirant de la crainte.

L'assemblée s'était calmée derechef, les plus belliqueux se rasseyant et se mettant à ignorer le troubadour, comme s'ils savaient par instinct que la source de leurs maux venait de lui. Jyrkain avait cessé son chant mais son effet durerait encore facilement cinq à dix minutes plus tard. Il vit également le fameux faux-poète faire volte-face et sortir péniblement de la taverne. L'empathie d'un ménestrel n'est pas à sous-estimer, ainsi il partit après un dernière salutation sans demander son reste, et sortit de la battisse. Il faisait nuit, et il eu du mal à discerner les personnes proches, dont le fameux Mèche-rebelle, assis à un banc. Il se dirigea vers lui mais ce dernier se releva, l'air patibulaire, cherchant coûte que coûte à fuir l'endroit, semblait-il.

"Attendez cher monsieur, et veuillez m'excuser ♫
Car il semblerait que je vous ai mal jugé ♫
Arrêtez-vous dès maintenant et écoutez ♫
Mon ode qui devrait réussir à vous soulager ♫ "

Il se réarma de son fameux lute et commença à jouer un air rythmé et rapide.

"Quand l'homme vit la nui~it
Yee-yee ♫
Rien ne chante ni ne souri~it
Yee-yee ♫
C'est tellement vide et d'un calme si tota~al ♫
Qu'on ne regrette pas de ne pas être matina~al ♫ "

L'air semblait débile, mais l'entrain et le dynamisme de l'Hymne devait maintenant résonner dans l'être en face de lui afin de provoquer l'effet inverse de la chanson précédente qu'il avait conclu dans la taverne. Il était désolé, mais le seul moyen de s'excuser était celui-ci...

Cet homme était... étrange. Non pas parce qu'il semblait antipathique, après tout plein de monde l'était, mais il était mal à l'aise, voir complètement déboussolé de toute présence humaine autour de lui. Au point qu'au moment où il commençait à partir, il chuta lentement pour se rattraper au sol avec ses mains, de justesse. Mais il resta dans cette position bizarre et fila vers les bois.

C'était mauvais, vraiment mauvais. Il lui avait pourri sa soirée, à ce pauvre homme. Pire encore, il semblait mal en point, comme blessé, aussi bien physiquement que mentalement. Ni une ni deux, Jyrkain commença lui aussi à se diriger vers les bois, suivant comme il le pouvait l'homme. Jusqu'à ce qu'au bout de cinq longues minutes, il du s'arrêter, l'ayant totalement perdu de vue... Tout comme la route menant au village, où de toute façon il serait plutôt mal accueilli après que l'effet de sa chanson soit dissipée. Finalement les bois, c'était pas plus mal, et se diriger vers un autre hameau par cette voie ne lui semblait pas insurmontable. Mais pris d'un doute, il s'exclama.

"Y a quelqu'un ?! Monsieur...?! Enfin... Ah, je ne lui ai même pas demandé son nom..."

"Monsieur...?"

Le silence complet. Le trouble gagna le jeune homme dans cette nuit difficilement éclairée par la Lune masquée par les feuillages de la forêt, rendant la scène terriblement lugubre. Puis un bruit, un craquement, comme si quelqu'un avait fait un échec critique de discrétion. C'était sûrement lui.

"Ah, attendez !"

Il commença à se précipiter vers la zone du bruit, sans vraiment faire attention où il mettait les pieds. Résultat évident, il chuta au bout de dix mètres et tomba nez à nez avec... Quelque chose. Un homme, s'il pouvait le décrire ainsi, il était courbé dans sa cape, et le regardait d'un air entre l'effrayé et le mauvais. Sans se relever, toujours à plat ventre, il regarda l'entité en face de lui en souriant.

"Ah vous voilà, je suis désolé de vous embêter mais... Euh, vous allez bien ?"

La situation était bizarre, voir inquiétante. Le comportement de l'homme en face de lui était inqualifiable, comme si une mouche des plus bizarroïdes l'avait piqué en plein dans la boîte crânienne, ou que sais-je encore. Peut-être était-ce un délire post-traumatique, un effet placebo ou autre terme technique qui échappait à la culture du ménestrel. Puis soudain, ce fut l'illumination.

Tout était clair comme de l'eau de roche, et ce malgré la nuit tombée. Son comportement, sa démarche étrange en ville et au-delà, tout s'expliquait évidemment. L'homme était joueur, et il était évident que l'épisode dans la taverne l'ait un peu ennuyé, donc il cherche à palier cet ennui par un jeu avec lui. Et ce qui était encore plus magnifique, c'était que ça collait parfaitement avec le caractère du petit barde.

Son regard se mit à pétiller, alors qu'il se relevait de manière accroupie, en se dirigeant vers l'homme joueur. Il imitait parfaitement l'animal peureux et agressif, avec ses petites mimiques amusantes, le principal était de venir jouer à son tour et de réagir en conséquence. Jyrkain sourit d'un air enfantin.

"Alala le gentil toutou, pas avoir peur, moi être gentil tout plein. Regarde..."

Il fouilla méthodiquement dans son sac, pour en sortir un bout de sa ration, un morceau de viande séchée qu'il tendit vers l'homme, toujours recroquevillé vers son arbre.

"C'est du bon miam-miam pour le petit chien-chien ça, hmm ? Alors, tu vois que tonton Jyrkain il est gentil, allez approche, n'ai pas peur."

Le gentil toutou était parti, à une vitesse dépassant l'imagination. Incapable de le suivre, Jyrkain se retrouvait seul dans cette forêt, dont il ne pourrait pas définir l'entrée de la sortie à cause de la non-luminosité ambiante.

"Mais... Le chien-chien a abandonné Jyrkain, lui être triste tu sais, et..."

Et se rendant compte qu'il était VRAIMENT seul, il décida d'arrêter de parler comme un attardé d'enfant élevé dans la jungle ou que savait-il encore à ce sujet... Il s'assit d'un coup et se mit à bouder, attendant une réaction quelconque comme si quelqu'un l'observait en ce moment. Ce n'est qu'après avoir attendu cinq grosses minutes dans ce mode qu'il comprit qu'il était seul, au fond d'une forêt inconnue près de Nevassa, c'était tout. Aucun spectateur, pas même un animal passant par là pour se moquer de lui, rien.

"C'est vraiment pas juste..."

Il sortit de son sac à malice une couverture et se coucha à même le sol, histoire de dormir et oublier cette soirée atroce.

"Allons, reposons nous de bon cœur ♫
Car demain sera un jour meilleur ♫ "