C'était le dixième jour que Drake passait sans avoir réellement d'idée d'où il venait. Évidemment, ses souvenirs fragmentés lui offraient des bribes de vie par-ci par-là, mais il restait en grande majorité complètement sans la moindre idée de ce qu'il faisait en caleçon dans les bois. Il avait eu le temps de se fabriquer un épieu, à l'aide d'une branche plutôt droite et d'un silex, et il se nourrissait de baies. Il vivait comme un véritable vagabond, chassant pour avoir plus de vivres et pour tanner la peau des bêtes qu'il traquait, se créant progressivement une garde-robe improvisée. Il portait désormais une sorte de pagne long en peau, étrangement correctement découpé, ainsi que des gantelets faits de lanières de peau ajustées à ses bras, ses poignets et ses mains.

Il n'avait décidément pas fière allure, sur le plan de la noblesse... En revanche, une chose était sûre : pour un quasi-amnésique sans rien, il se débrouillait plutôt bien. Il survivait, voyageait tel un nomade, et il évitait tant qu'il pouvait le contact avec une quelconque forme de civilisation... Son instinct lui disait qu'un homme d'apparence sauvage débarquant en plein milieu d'un lieu habité était tout sauf une bonne idée, que ça soit raisonnable et sensé ou pas.

Drake avait voyagé, depuis, pour changer un peu d'air. Il vagabondait dans le monde, évitant la civilisation et retournant un peu à la vie sauvage. C'était un miracle qu'il sache encore parler, bien que ce genre de chose ne s'oublie pas, et il était finalement parvenu à arriver jusqu'au désert de Hatary. Le lieu était plus difficile à vivre, mais au moins, il était tranquille. Le vagabond s'était fait des réserves de baies, d'eau potable et de petits rongeurs, bien que ça ne puisse le sustenter que pour un certain temps. Il avait également fini par se confectionner une tente improvisée, pour ne pas avoir à dormir à même le sol.

Ainsi il campait, ce soir-là, à la belle étoile. Le ciel était obscur, et on pouvait voir au loin une lueur braisée s'élever dans la nuit : c'était son feu de camp, émettant de douces flammes réchauffant son corps, alors qu'il faisait cuire ce qui semblait être un petit rongeur qu'il avait attrapé durant la journée. Son corps était encore humide, revenant d'un rare point d'eau où il s'était lavé pour essuyer le sang et la poussière qu'il avait accumulé à force de chasser, des gouttes d'eau ruisselant contre sa musculature glabre et massive.

Mais c'est alors qu'il entendit un bruit, comme un bruit de pas dans le sable... Attrapant son épieu, reculant d'un pas et se préparant à une éventuelle rencontre sauvage et hostile, il fronça les sourcils, dans une position défensive et lui permettant de se défendre au cas où une bête sortirait de derrière une dune... Qui pouvait savoir, après tout, ce qui pouvait s'approcher de son campement improvisé en pleine nuit ? En tout cas, le risque était trop grand pour rester là sans bouger, ne sachant pas trop s'il devait envoyer une quelconque phrase intimidante à l'attention de la chose, menaçante ou non, qui s'était approchée de son lieu de vie temporaire...

Un sourcil haussé, ne sachant pas trop quoi dire, Drake abaissa son arme. Il n'y avait pas de menace visiblement, et elle était plutôt mal à l'aise. Elle lui demandait simplement de profiter un peu de la chaleur de son feu de camp, et c'était compréhensible. Le sauvage n'était pas sûr de pouvoir baisser sa garde si vite, mais pour une fois, il décida de faire preuve d'un minimum de solidarité. Se rasseyant, il lui répondit alors, sans avoir le dialecte d'un abruti fini pour autant.

« Vous pouvez... C'est pas comme si j'avais grand chose à partager, mais faites comme vous voulez. »

Sa voix était neutre, ni spécialement accueillante, ni hostile. Assit de nouveau au coin du feu et son arme déposée sur le sable, il faisait visiblement griller les petits rongeurs des sables qui allaient constituer son repas. C'était un poil maigre, mais pour avoir autant à manger, il devait être plutôt talentueux en tant que chasseur. On pouvait voir, derrière lui, une sorte de tente en peau tannée mais rustique, et bien que ça soit déjà beaucoup mieux que dormir à même le sable, on était loin ne serait-ce que d'un lit de camp.

Lui jetant un regard en coin, Drake finit par prendre l'un des rongeurs grillés et commencer à le mâchonner, restant au coin du feu pour ne pas finir complètement gelé. Les nuits dans le désert étaient fraîches, voire même glaciales...

« Vous avez faim ? J'en ai un peu trop et je déteste gâcher. Pour les citadins, ça doit avoir l'air d'être de la nourriture de sauvage, mais c'est assez bon, en fait. Oh et, quand je dis "citadin", le prenez surtout pas mal, hein... C'est juste comme ça que j'appelle les gens encore civilisés »

Il n'était pas gêné, visiblement, c'était toujours ça. La première chose qu'on pouvait remarquer était son hygiène étonnamment bonne. Pour un sauvage, en tout cas, bien qu'il ne soit pas non plus un parfait noble, il avait l'air de se laver fréquemment et de faire un minimum attention à lui... À hauteur de ses moyens, évidemment. Sa musculature, également, avait de quoi faire tourner des regards, ainsi que les cicatrices sur son corps. Il était de toute évidence fort, très fort même. Mais le plus étonnant restait ce contraste entre son comportement plutôt cordial et pas si farouche que ça et son apparence mêlant sauvagerie et soin personnel.

La jeune citadine se montrait définitivement curieuse, et les questions étaient quelque-chose d'un peu obscur pour Drake. Il n'était lui-même pas sûr à 100% de ce qu'il faisait, la plupart du temps, depuis son réveil. Aujourd'hui, il migrait tel un sauvage, un nomade perdu au milieu du désert cherchant simplement à survivre par ses propres moyens. Il ne cherchait ni pitié, ni aide, il traçait son chemin tout simplement à travers la pampa.

« Le prenez surtout pas mal, mais je sais ce qui est mieux pour moi... J'ai mes raisons, je préfère les garder pour moi. »

En effet, son mode de vie était partiellement du au rejet qu'il avait subi au sein des quelques communautés qu'il avait voulu tenter d'intégrer. Lapidation, injures, menaces... Oui, quand un type se ramène en pagne et en vêtements de fourrure grossiers avec un bâton pointu, ça fait tout de suite peu accueillant. Ainsi il avait préféré retourner à la nature, là où personne ne pourrait l'embêter ou le juger.

« De l'eau ? Ouais, y'a une petite source à deux pas, dans cette direction... Vous pourrez pas la manquer. J'aurais été complètement stupide d'établir un camp loin »

Ainsi le sauvage lui indiqua une direction précise, qui semblait en effet diriger vers un petit point à peine visible dans l'obscurité, à peut-être quelques centaines de mètres tout au plus. C'était ça, sa petite source d'eau potable. Il avait justement décidé d'établir son campement ici dans le but de pouvoir se ressourcer à sa guise sans avoir à descendre les dunes de sable d'Hatary plus loin simplement pour remplir une outre.

Drake n'était pas très causant, mais il n'avait pas l'air dangereux. Il mangeait du rongeur grillé, assit près du feu, sans vraiment porter énormément d'attention à la voyageuse qui l'avait rejoint. En même temps, il devait avoir un mode de vie assez particulier, et il ne fréquentait pas grand monde en temps normal. Les interactions sociales, c'était devenu assez abstrait pour lui...

Ah, les longues nuits à camper dans la nature, à manger divers fruits et légumes, un peu de viande quand il le pouvait, et à regarder le ciel étoilé lui rappeler chacun de ses souvenirs oubliés. Définitivement, le peu de tranquillité dont il pouvait bénéficier aujourd'hui n'était pas de refus. Et puis il y avait cette voyageuse qui squattait son camping, et lui proposait même de la viande. C'était plutôt sympathique, à vrai dire, et il n'était pas habitué à ce qu'on le soit avec lui.

« Merci... »

Bon, c'était court comme réponse, mais au moins il avait du boeuf à manger, ce qui était peut-être la première fois qu'il en avait depuis longtemps. Puis elle lui posa des questions sur son style de vie, ce qu'il trouva fort curieux.

« Je m'en contente. J'ai mes raisons pour éviter les villes, ou du moins je suppose que je les ai... »

On pouvait remarquer tout de même quelque-chose de flagrant dès le premier regard, alors qu'il se levait pour aller chercher du petit bois dans son balluchon pour entretenir le feu : c'était un colosse. Un véritable géant à la musculature incroyablement développée, ce qui laissait sous-entendre qu'il était d'une force incroyable. Qui qu'il soit, ce n'était pas simplement un sauvage tout bête sans aucun passif... C'était sûr.

Jetant quelques branchettes dans le feu, il se rassit sur son rondin, le regard dirigé vers les flammes crépitantes. Ses yeux dorés étaient tout aussi enflammés que le foyer face à lui, preuve d'une ténacité exemplaire malgré ses conditions de vie misérables.

« Vous alliez où, exactement ? Ce n'est pas très courant de croiser des voyageurs isolés en plein milieu du désert. »

... Disait celui qui y campait même, seul, dans le froid de la nuit d'Hatary. Mais bon, il fallait de tout pour faire un monde, pas vrai ?