Kilvas. Ses falaises, ses rochers, ses corbeaux. Ses voleurs. Ses pirates. Pourquoi est-ce que tu es revenue ici ? Nostalgie, peut-être ? Un besoin de retrouver cette vieille populace ? Ta mère ? Ton frère, peut-être ? En fait non, tu as encore filé au gré du vent, à voir où tu pouvais atterrir. Mais voilà, Kilvas. Au fond de toi, tu espères pouvoir trouver quelques réponses à tes éternelles questions, mais aussi une façon d’enterrer plus ou moins le souvenir de Louka. Tu as perdu espoir, à force. Peut-on t’en blâmer ? Nul ne le sait. Nul ne s’en soucie. Un corbeau malheureux ? Dans un chagrin d’amour ? Quelle blague, qu’il retourne travailler à voler des gens, hein ? Haha …
Tous ces clichés. Cela te déprime légèrement. Tu as appris à t’y faire, à te dire que tu n’es pas pareille, mais comment les gens pourraient-ils te croire ? Tu es la corbac stigmatisée, enfermée pendant un moment dans une cage, alors tu n’es pas mieux qu’une autre, n’est-ce pas ?
Tu t’es posée sur ce petit caillou juste pour réfléchir, c’est triste. Au fond tu ne sais même pas où tu es, où tu vas, ni même ce que tu veux.
Louka. Tu ne l’oublieras donc jamais. Ce visage d’ange, ce sourire si doux, si innocent, si perturbé par ce monde. Hum. Peut-être devrais-tu le purifier ? Rendre ce monde plus beau pour éviter que d’autres personnes ne finissent comme lui ? Penses-tu que c’est possible ? Tu hésites. Mais après tout, pourquoi pas. Les plus grands criminels ont mis à feu et à sang tout plein de populations juste pour leur plaisir, pourquoi serait-il impossible d’éradiquer la menace ? À grands coups de bec, de griffes et de crocs. Ou d’épée, heh. C’est bien aussi, les épées.
Un hurlement t’arrache à tes pensées. Une voix rauque, masculine. Celle d’un de tes comparses. Il appelle à l’aide, il hurle à l’agonie. Il a besoin de toi. Première tête sur le grand calendrier des sauvetages ? Tu te transformes puis commences à suivre la provenance de la voix. Vu ta vitesse, si la menace est grande, tu n’auras absolument pas le temps de le protéger. Puis un autre cri retentit, plus fort, plus aigu. Celui-ci est désagréable à tes oreilles. Tu presses le battement d’ailes pour t’y rendre encore plus rapidement, oubliant toute notion de précaution. Tu plonges, tu fonces, tu oublies tout le reste.
Et tu arrives sur la scène de crime.
Sombre. Sanglante. Monstrueuse.
Avec cette étrange créature.
Une dragonne. Qu’est-ce qu’elle fout ici ? Tu te poses sur une branche d’arbre, jusqu’à remarquer qu’elle s’approche. Ton esprit animal jubile. Cette connerie d’instinct bestial, qui pousse les animaux à se protéger les uns les autres. À se venger. Connerie. Tu soupires, puis penches la tête.
« Tu t’es égarée, mon gros monstre ? »
Tu recouvres ta forme humaine, puis t’assoies tranquillement sur ton perchoir. D’ici quelques instants, de très nombreux corbeaux rappliqueront pour lui faire la peau, qui sait si tu les repousseras ou les aideras. Es-tu vraiment revenue ici pour tous les cogner ? Ou pour faire un autre massacre ? Kilvas, Kilvas … Contrée de violences et de vols divers. Contrée réputée pour ses pirates, mais oubliée pour sa violente rancune. Toucher aux frères corbeaux ? Mauvaise idée.
« Cannibale, en plus. »
Parce que tu étais là. La fin de la bataille, si féroce, avec ce cœur arraché et ce cadavre roulant mollement. Tu l’as vue. Tu ne sais pas si c’était immonde ou juste amusant, toujours à mi-chemin entre le bon et le mauvais. La pauvre corbette allongée au sol, sans connaissance, devait te maudire d’être incapable de faire le bon choix. La morale, hein ? Cela fait bien longtemps que tu ne la connais plus. Que tu l’as oubliée. Et que tu as presque oublié cette fraternité illusoire. Après tout, tu es la déserteuse. La corbette qui connaît le monde, qui en avait marre de la piraterie, des vols, qui voulait s’envoler.
« Tu risques de te faire des ennemis, par ici. »
Tu penches la tête de l’autre côté.
« Comment ça se fait que tu sois hors de Goldoa ? Tu les as mangés comme ça aussi ? »
Heh, après tout, si elle peut bouffer des cœurs de corbeau, elle peut probablement bouffer ceux des dragons, non ? Quel genre de personnes mange ses congénères ? Tu souris, fortement amusée. Qui est cette étrange créature ?
Tu descends de ton perchoir et t’approches de l’âme inconsciente. Tu prends son pouls, remarquant avec un presque soulagement qu’elle vit toujours.
« Celle-ci a eu de la chance. »
Puis tu te souviens de son cher et tendre.
« Ou pas. »
Tu relèves la tête et poses tes prunelles sur la dragonne. D’où est-ce qu’elle sort, celle-ci ? Et est-ce qu’elle se doute que nombreux seront ses ennemis ? Boarf, elle s’en tape probablement, haha. Vu le calibre, ce truc doit venir de très, très loin.