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| Sujet: Hugo, comte de la Bastide Lun 10 Jan - 12:15 | |
| ~ Informations générales ~ Nom : Sambre Prénom : Hugo Titre : Comte de la Bastide Âge : 20 ans Sexe : Masculin Race : Beorc Classe : Cavalier Pays d'origine : Begnion ~ Description du Personnage ~ Caractère : L'armée de Begnion est certes grande et très variée dans sa composition, mais elle ne comprend certainement pas beaucoup d'hommes pour qui la guerre qu'ils sont sur le point de livrer n'est jamais que le prélude d'une véritable guerre. Hugo est de cette espèce-là : s'il s'est engagé dans l'armée, presque sur un coup de tête, c'est parce qu'il espère par ce biais renforcer assez son corps et surtout son esprit pour une guerre sans doute moins menaçante pour la survie du continent, mais essentielle pour lui... Cette autre guerre, que certains seraient sans doute trop prompts à qualifier d'imaginaire, simple œuvre d'un esprit malade exalté par sa rencontre avec un "vicaire" trop flatteur pour être sincère et une femme de mauvaise vie, est peut-être encore plus universelle que la première, car c'est dans les yeux qu'elle se joue... Mais qui peut bien croire que le vrai schisme n'est pas entre beorcs et laguzs mais entre yeux noirs et rouges, sinon un fou ?
Son obsession exagérée pour les yeux mise à part, et si l'on ignore en particulier ses remarques morbides sur les prunelles des cadavres, Hugo n'est cependant pas quelqu'un de si désagréable à avoir pour compagnie... Pour peu qu'on l'ait tout entier, sans devoir se contenter de son enveloppe charnelle. Car tel est souvent le risque, avec lui : même quand il est physiquement présent, son esprit reste souvent vagabond, et il est parfois difficile de trouver des choses assez dignes d'intérêt pour le faire revenir... Mais pour ceux qui aiment les gens passionnés et enthousiastes, le résultat en vaut la peine ; dans cette catégorie-là, Hugo n'est certainement pas champion car son caractère enflammé ne se manifeste pas tout le temps, mais il se situe tout de même à une place honorable. Et pour la personne ou l'objet qui a éveillé son attention, il est prêt à n'importe quelle folie, si ruineuse soit-elle... Dans le même temps, il abandonne toute notion de prudence, même les plus élémentaires, et rien n'est alors plus facile que de le manipuler en profitant de cet enthousiasme débordant et en le laissant s'égarer... Hugo peut prétendre voir le fond de l'âme à travers les yeux, et même le passé, mais il n'est pas capable de distinguer les yeux d'un menteur de ceux d'un vrai ami. D'autant qu'il est encore trop naïf et imprégné des vieilles valeurs chevaleresques pour oser imaginer que quelqu'un qu'il considère comme un ami puisse le trahir... Celui qui lui a inculqué ces valeurs a cependant dû oublier d'insister sur l'importance de la camaraderie au sein d'une armée : en effet, Hugo ne révèle ce bon côté plein d'enthousiasme qu'à ceux qui lui donnent envie de le montrer : aux autres, il apparaît froid, distant et méprisant dans la manière qu'il a d'ignorer les autres, ne leur parlant qu'en cas d'extrême nécessité. Mais ce n'est pas en vertu d'un quelconque sentiment de supériorité qu'il maintient le plus souvent cette attitude... Simplement parce qu'il est de ces passionnés qui ignorent tout ce qui n'appartient pas au petit monde de leur passion. Et dans le cas d'Hugo, ce domaine est facile à définir, puisqu'il se restreint à l'étude de l'Histoire et du passé, et depuis peu, aux yeux... Au moins, cette indifférence perpétuelle a son utilité dans la mesure où il encaisse très bien les quolibets en tous genres... Même si le plus exact serait de dire qu'il les ignore aussi, comme tout le reste.
Fort heureusement, l'idée de n'être qu'un simple soldat soumis comme tout le monde à la discipline militaire ne fait ni chaud ni froid à Hugo. Il a certes le minimum de bon sens nécessaire pour désobéir aux ordres quand ces derniers sont injustes, mais hors de cela, il s'applique à les suivre diligemment. Il est peut-être faible physiquement, mais quand il se donne pour mission d'atteindre un objectif, sa détermination à tenir cet engagement est assez puissante pour lui donner l'impression de pouvoir soulever des montagnes. Son statut d'engagé purement volontaire facilite les choses, de ce point de vue-là... Si Hugo a lui-même choisi de rejoindre l'armée, ce n'est certainement pas pour s'en faire expulser pour indiscipline sans avoir pu acquérir la force qu'il estime nécessaire pour livrer sa propre guerre. A vrai dire, il ne sait toujours pas vraiment quelle est cette force qu'il recherche. Peut-être est-ce la volonté nécessaire pour arriver à se battre et tuer des êtres envers qui il n'a ni haine ni préjugé, sans perdre la tête... Pour ainsi accomplir ensuite le plus dur : tuer celle qu'il aime, mais dont il sait qu'il est l'ennemi...
Physique : Hugo cherche rarement à attirer l'attention sur lui, pourtant, il est rare qu'on ne le remarque pas. Peut-être est-ce à cause de sa haute silhouette élancée, qui le porte au-dessus de la multitude ; il n'a pas besoin de monter à cheval pour dominer la plupart de ses concitoyens. Peut-être est-ce aussi à cause de sa chevelure rouge sang, l'héritage et la marque des Sambre. Peut-être est-ce enfin à cause de ses yeux très noirs, qui semblent le plus souvent perdus dans un pays lointain mais prennent une intensité remarquable quand ils daignent se poser sur quelque chose... Au milieu de son long visage pâle encadré par des favoris écarlates aussi soigneusement entretenus que le reste de sa chevelure – même en temps de guerre –, les yeux d'Hugo apparaissent comme la seule partie véritablement vivante de sa physionomie. Tout le reste de son corps pourrait n'être qu'un mannequin à taille humaine s'il n'y avait pas ces deux prunelles sombres entourées d'un coin de ciel, qui reflètent toutes ses émotions avant même que sa bouche, ses gestes ou le reste de son visage ne les expriment. Aussi, c'est une bien étrange impression qu'Hugo donne quand il s'amuse à laisser ses yeux dans l'ombre des grands chapeaux qu'il porte souvent, en hiver comme en été, ou du casque dont il se coiffe pour aller à la bataille : celle de n'être qu'un autre de ces soldats sans cœur et sans vie propre, impression qui se dissipe dès qu'on entrevoit ses yeux et la vie qui y coule doucement, telle une eau dormante qui peut en un instant se transformer en torrent. C'est sans doute la combinaison de ce regard déjà vieux à sa manière et des favoris touffus qui amènent bien des gens à se tromper sur l'âge d'Hugo ; alors que certains le prennent pour un trentenaire déjà blasé, ce n'est encore qu'un jeune homme... Et comme pour rappeler ce fait, dès que son visage est animé par l'intérêt, la lueur qui brille dans ses iris noirs lui confère, l'espace d'un instant au moins, un air puéril que l'on n'imaginerait pas en voyant son habituelle expression morose.
Évidemment, on sait tout de suite à la façon malaisée dont il bouge sur le champ de bataille qu'Hugo n'était pas fait pour porter l'armure, ni l'épée, ce qui ne peut que soulever des questions quant aux raisons qui auraient pu pousser cet aristocrate aux yeux noirs et nobles à se glisser dans la cuirasse d'un simple homme de troupe. Il y a quelque chose de pathétique dans la façon dont il laisse l'épée pendre au bout de l'un de ses grands bras maigres, enfermé dans un gantelet trop large et trop court, tandis que de son autre main, la gauche, il se cramponne désespérément aux rênes comme si sa vie en dépendait... Car s'il sait monter à cheval, s'il a l'habitude des chevauchées rapides, il doit encore apprendre à ne plus tenir les rênes que d'une main pour pouvoir agir, et accessoirement, à faire en sorte de ne perdre aucune pièce de son armure pendant la bataille, ce qui n'est pas évident tant il semble flotter dans cette tenue qui n'a pas été faite pour son gabarit. Mais peu lui importe, au fond... l'attirail militaire n'est qu'un prétexte. Sa vraie guerre se fait sans armes, et quand cette guerre-ci ne pourra plus lui servir d'excuse, il devra alors aller la mener.
Quelle que soit sa tenue, militaire ou civile, il est une chose qu'Hugo porte toujours sur lui : une grande sacoche de cuir qu'il garde en bandoulière, et où sont rangés le manuscrit inachevé de la Guerre des Yeux, ainsi que le crâne à l'œil de rubis, la pierre angulaire de toutes ses théories. Passé :
Prologue : la Première GuerreAu commencement, il y avait l'œil. L'œil était dans le ciel et Aam le regardait. Avant lui, personne n'avait osé lever la tête, de peur d'être ébloui, mais un jour, à l'heure où il devenait rouge, Aam s'arrêta face au couchant et le regarda en face. Aam n'avait pas peur. Aam était un guerrier aux cheveux rouges, chef de la tribu aux yeux noirs. Et l'œil se ferma. Aam n'était pas aveugle... Aam avait vaincu sa peur de l'œil rouge.
Fin de la Première Guerre Chapitre 1 : Le mariage d'Hugo De bas rang dans la hiérarchie de la noblesse mais dotée de racines très anciennes, la famille Sambre, aussi loin que les archives remontent, n'a jamais contrôlé plus que le domaine de la Bastide, un minuscule fief situé au pied des montagnes qui forment la frontière entre Begnion et Crimea. C'est dans la forteresse éponyme qu'est né Hugo, troisième fils et sixième enfant du comte Perceval de Sambre. Dès son enfance, il fut donc bien entouré, et bientôt rejoint par deux petites sœurs, des jumelles. Ses premières années furent placées sous le signe de l'ignorance bienheureuse ; c'était encore le temps où il ignorait que les yeux noirs des Sambre sont un héritage lourd à porter...
Hugo Sambre eut l'enfance d'un petit noble de campagne : sans grands évènements, ni en bien ni en mal. Il n'en a gardé que des souvenirs épars : la chasse impitoyable qu'il donnait aux jars dans la cour de la bastide, ou les heures interminables qu'il passait à pousser la grande balançoire accrochée au plus grand arbre du domaine, pendant que ses deux petites sœurs étaient dessus et riaient aux éclats... Bien sûr, à côté de ces moments de jeu dont il lui arrive encore de se souvenir sans la moindre nostalgie, il y avait aussi l'étude, que tout le monde considère comme être le privilège du jeune noble. A vrai dire, contrairement à d'autres parmi ses congénères, Hugo n'a jamais détesté cela. Devoir écouter pendant des jours et apprendre les divins préceptes que tout citoyen de Begnion se doit de connaître était certes aussi ennuyeux que pour lui que pour la moyenne des gens, en revanche, dès qu'on parlait d'Histoire, il ouvrait grand ses oreilles. Il n'avait peut-être pas la grande ambition de "comprendre le passé pour décrypter le présent et deviner le futur", mais il trouvait dans les récits des gens de jadis le seul moyen pour lui de fuir l'ennui que commença très vite à lui apporter sa vie sans mouvement de noblaillon provincial. Courir après les jars, passé cinq ans, cela n'amuse plus personne, en tout cas, cela n'amuse plus les Sambre...
Le premier événement qui vint tempérer sa lassitude déjà croissante survint lorsqu'il avait onze ans, et fut malheureusement tragique : ce fut la disparition de ses grands frères, Belmont et Ulric Sambre. A vrai dire, le plus tragique était que leur sort resta marqué du sceau du secret : personne autour d'Hugo ne semblait rien savoir de ce qui était arrivé aux deux aînés, partis en voyage à Sienne pour n'en jamais revenir... A l'époque où il attendait avec le vain espoir d'un petit garçon le retour de ses grands frères chéris, il était encore trop jeune pour ne plus aimer la famille qui n'avait eu de cesse de l'entourer comme un cocon. Contrairement à ses sœurs, plus réalistes ou peut-être mises dans la confidence, il attendit des mois avant de réaliser que Belmont et Ulric ne reviendraient vraiment plus, même s'il ne savait toujours pas pourquoi ils s'étaient ainsi évaporés. Et encore, l'espoir lui demeura pendant longtemps de les revoir, ne serait-ce qu'un instant...
Le deuxième événement fut certainement moins tragique, mais il n'en eut pas moins des conséquences encore plus importantes, au moins indirectement : ce fut le mariage d'Hugo avec la fille d'un autre noble habitant non loin de la Bastide, Alma Blancseing. Le marié comme la mariée avaient dix-neuf ans, et par cette union, ils mettaient le point final à des adolescences qui s'étaient déroulées sans heurts, d'un côté comme de l'autre. Se rebeller, refaire le monde, prendre de grands engagements ? A quoi bon, après tout ? Alma avait docilement laissé sa famille la préparer à son rôle de parfaite épouse, obéissante et dévouée, quant à Hugo, il avait toujours les yeux rivés sur la Bastide, qu'il n'avait pour ainsi dire jamais quittée. Les jars et les balançoires ne l'amusaient peut-être plus, mais le vaste monde et la liberté dont on a tendance à rêver à cet âge ne l'attiraient pas davantage...
Et pourtant, deux jours après une cérémonie célébrée dans une bonne humeur convenue et une nuit de noces qu'il passa sur une chaise tandis qu'Alma occupait son lit, Hugo s'éloignait pour la première fois de cette Bastide réconfortante. Après tout, cela faisait partie de ses devoirs de gendre : le baron Blancseing tenait à ce qu'il aille visiter son cadeau de mariage, une vieille mine de cuivre au pied des montagnes, presque au carrefour entre Crimea, Daein et Begnion – même si de fait, les monts étaient là pour empêcher le passage dans l'un ou l'autre des pays frontaliers.
Il pleuvait le soir où Hugo arriva et parla affaires avec son beau-père, pour finalement annoncer avec fermeté qu'il ne se donnerait pas la peine de visiter la mine : lire les registres de comptes lui suffirait amplement. C'est alors qu'un homme intervint pour lui demander :
– Auriez-vous peur de vous salir les mains, milord ? – Vicaire ! Savez-vous à qui vous parlez ? trancha aussitôt le vieux Blancseing. – Laissez, laissez, tempéra doucement Hugo. Que puis-je pour vous, mon brave ? – Si vous descendez avec moi au fond de la mine, vous verrez de pauvres gens qui tous les jours remontent, les mains en sang et les bras déchirés par l'effort... Et qui pourtant y redescendront le lendemain. Une visite de votre part suffirait peut-être à donner le goût de l'effort à ces bons-à-rien. Ils n'ont jamais vu les yeux de leur patron... Des yeux sombres, en l'occurrence... Mais qui laissent deviner un cœur noble... Aristocratique, je dirais même...
Caplan Goetz avait la voix mielleuse et le regard en embuscade. Dès le premier regard, Hugo ressentit cet indéfinissable dégoût que suggère une personne qui dissimule sa jalousie sous des flatteries. Mais l'éducation qu'il avait reçue d'un père peu soucieux des conventions lui interdisait de juger trop rapidement cet homme du peuple... Quelque part, cette provocante intervention piquait même sa curiosité.
Le lendemain, la pluie avait cessé. Hugo se leva tôt et suivit le conseil de son contremaître. Il descendit avec les ouvriers au plus profond de la mine.
Cette simple tournée d'inspection fut pour le jeune homme l'occasion de découvrir en compagnie du vicaire Goetz – en réalité un simple contremaître amateur de surnoms curieux – un tout autre monde, celui des ouvriers qui descendaient douze heures par jour au fond de sombres veines pour récolter le métal jaune avec lequel on faisait le bronze et la monnaie. Malgré la chaleur étouffante qui régnait dans la mine, Hugo tremblait. Lui qui n'avait connu que l'oisiveté de sa vie de noble, il se fascinait à présent pour autre chose qu'une épopée : le spectacle de ces pauvres hères au visage noirci par la poussière, qui emportaient un rayon de soleil dans leurs yeux et un oiseau dans une cage...
Mais Hugo apprit très vite et à ses dépens que l'oiseau n'était pas là pour la poésie. Quand il tomba raide mort dans sa prison de fer, la panique gagna rapidement les mineurs, et ils commencèrent à sortir des galeries sous l'œil médusé d'Hugo, encore ignorant des dangers de la mine. Il ne tarda pas à découvrir ce qu'annonçait la mort de l'oiseau... Une terrible explosion, causée par les gaz auxquels avait succombé le volatile, souffla parois et étais et fit s'effondrer une section de la mine déjà poussée à bout par trop d'années d'exploitation. Ceci aurait pu marquer la fin prématurée d'Hugo, ou tout au moins, le convaincre pour de bon de ne plus mettre un seul pied hors de la Bastide ; quand il réalisa, légèrement plus tard que Goetz et les ouvriers, qu'ils étaient coincés sous terre, dans une galerie de mine aussi instable que celle qui s'était effondrée, et obligés d'attendre que des sauveteurs percent une galerie secondaire pour venir à leur secours, il crut effectivement sa mort arrivée, dans des circonstances aussi inattendues que peu glorieuses. La chance avait cependant décidé de jouer en sa faveur.
Premièrement, peu d'hommes se retrouvèrent coincés sous les débris ; Hugo n'en était pas, et la force herculéenne de Goetz permit de sauver la plupart des malheureux. Deuxièmement, la roche au-dessus des rescapés était plus tendre, et quelque longue et éprouvante que puisse être l'opération de sauvetage, elle était partie pour durer moins de temps que la vingtaine d'heures que Goetz redoutait au tout début.
Et troisièmement, l'effondrement de la galerie avait mis au jour la Grotte des Yeux de Sang.
Cependant, Hugo ne put pas tout de suite apprécier les merveilles de cette étrange caverne. Il lui fallut d'abord se préoccuper de sortir de la mine, ce qui fut assez vite fait, puis de convaincre les ouvriers de se remettre au travail pour déblayer les galeries. Le vicaire Goetz avait eu la juste intuition : ayant vu les yeux de leur patron et son courage face à la colère de la mine, ceux-ci redoublèrent d'ardeur. C'est ainsi qu'ils découvrirent des ossements humains de taille et d'aspect divers, tous datant d'au moins plusieurs siècles... Et parmi ces restes se trouvait un crâne dont l'une des orbites était occupée par un énorme rubis brut. Plus loin encore, ils découvrirent une sorte de conduit... Et la grotte en elle-même.
– Je dirais que c'est une mine, mais d'une toute autre nature que le cuivre, commenta Hugo en regardant les étranges peintures primitives qui couvraient les parois. – Évidemment, il faudra des mois pour tout déblayer, en bas. Des mois encore pour trier, archiver et surtout déchiffrer... soupira Goetz. – Des mois entiers pour comprendre ce qui s'est joué ici... Peut-être des années, compléta Hugo. – Bien entendu, les ouvriers affectés à cette tâche ne pourront en faire une autre... La production de cuivre va encore baisser...
Cette dernière phrase ne suffit même pas à faire revenir Hugo dans le monde des réalités matérielles. Détournant un instant son regard des peintures, il se tourna vers le vicaire, et répondit en souriant :
– Jamais mon père ne tolèrerait cela !
Les deux hommes échangèrent un regard complice, scellant ainsi leur pacte muet. ***** L'an 653 du calendrier de Begnion fut tumultueux sur tout le continent. Les tensions croissantes entre laguzs et beorcs préoccupaient tout le monde. A la Bastide, par contre, rien ne semblait pouvoir troubler l'ordre établi... Et pendant que sa femme devait supporter sa belle-famille, Hugo continuait de jouer au découvreur. Lui et Goetz, devenu son complice, faisaient des relevés minutieux dans la grotte, noircissant des rouleaux entiers de parchemin avec leurs moindres observations. Mais après sept mois de ces fouilles, le jeune homme fut forcé de se souvenir qu'il avait une épouse qui l'attendait certainement à la Bastide... Il y revint à l'été, tandis que les tensions montaient encore sans que cela réussisse pour autant à faire bouger quoi que ce soit dans le fief des Sambre. Ou presque...
Et même si la veille, tout le monde espérait le retour d'Hugo, le jour où il arriva enfin, personne ne l'attendait. Alors que son vieux père le pressait de questions, ses sœurs revinrent en courant, en hurlant... Alma s'était jetée du haut d'une cascade, sans que personne ne comprenne quelle folie l'y avait poussée.
A la tombée du jour, l'air n'avait pas encore fraîchi. Alma, blessée mais toujours vivante, fut installée dans sa chambre, les fenêtres toutes grandes ouvertes. Et les domestiques, qui l'avaient déjà ramenée depuis la cascade, furent dépêchés au village voisin pour trouver un prêtre. Progressivement, l'atmosphère devenait irrespirable, mais chacun faisait mine de s'en accommoder...
– Mère, vous croyez qu'elle va... s'inquiéta Hugo sitôt sorti de la chambre d'Alma. – Remercie le ciel. Elle est tombée dans la cascade, mais la profondeur de la vasque plus bas a amorti sa chute. Elle s'en sortira, le rassura Mme Sambre. C'est l'enfant qu'elle porte qui m'inquiète. Il n'a que sept mois... Avec le choc... – Mais comment est-ce arrivé ? demanda prudemment le jeune époux. – Le lac aux grenouilles, tu vois ? intervint sa sœur aînée. Figure-toi que ta femme s'est prise pour une grenouille ! Dans son état ! Bien entendu, elle a glissé... Elle l'a fait exprès, je te dis ! – Voyons, Victoria, la gronda aussitôt la matriarche, la médisance est une vilaine chose ! – Pourquoi aurait-elle fait cela ? soupira Hugo. – A ton avis ? Parce qu'elle espérait que tu arrives, que tu l'embrasses et qu'elle se transforme en princesse ? le railla Victoria. Mais non, grand benêt ! Perce qu'elle déteste son bébé. Voilà pourquoi ! Pourquoi crois-tu qu'elle s'est mariée ? Par amour pour toi, peut-être ?
Les nouvelles réprimandes de la vieille Sambre furent interrompues par un faible appel d'Alma. Elle avait perdu les eaux, et allait accoucher. Étrangement, Hugo semblait absent, voire indifférent à l'inquiétude ambiante... "Déjà tout petit, la chaleur l'accablait", disait sa mère. Elle envoya donc son fils et son mari se rafraîchir au salon, et ses filles se coucher, tandis qu'elle-même et sa femme de chambre assistaient Alma dans son épreuve... Dehors, le ciel était noir. Et pendant que son épouse était au plus mal, Hugo reprenait vie.
– Père... avant tout, je fais appel à votre esprit sagace inspiré des plus grands savants... commença-t-il maladroitement après avoir passé un long moment à écouter avec attention les bruits venant des étages du haut. Écoutez-moi... Il y a eu un accident dans la mine, un souffle d'air vicié...et... regardez ce que nous avons trouvé ! fit-il avec enthousiasme en exhibant fièrement l'un des crânes qu'il avait ramenés. – Eh bien oui, c'est un crâne humain... grommela son père. Quel intérêt ? Ils se ressemblent tous. – Non, justement ! Regardez mieux ! Observez leurs dents, la forme de leur crâne, comparez-les avec les ossements découverts par Lord Arcklam et vous jurerez comme moi que cela date de plus de mille ans avant la fondation de Begnion ! Vous entendez, Père ? Nous avons découvert le cimetière des premiers enfants d'Ashera ! – Comme c'est intéressant ! Et tu as trouvé aussi leur épitaphe signée de sa main, peut-être ? – Père, ne raillez pas ! Imaginez un instant l'intérêt de tout ceci pour nos connaissances ! s'enflamma Hugo. – Qui plaisante ici ? rétorqua froidement le vieil homme. Le seul intérêt qui me préoccupe est celui que génère un capital, Hugo... Sans rire, crois-tu que l'étude va nourrir ta famille ? – Mais vous ne comprenez donc rien ! N'y a-t-il vraiment que l'argent qui vous intéresse ? – Quelle impudence ! s'indigna son père en commençant à lever sa canne. Comment oses-tu... – Je vous préviens, cette fois, vous ne me ferez plus taire à coups de canne ! Je n'ai plus six ans... Et vous êtes un vieillard, maintenant... – Tu menaces ton père, Hugo ?! Tu as perdu la tête ! intervint sa mère. – Mère, de grâce ! Écoutez-moi, au moins... – Non, c'est à toi d'écouter ! Tu entends ta femme, Hugo ? Tu l'entends crier ? Elle accouche d'un petit Sambre dans la douleur, et toi, tu t'emportes pour le crâne d'un enfant mort il y a plus de mille ans ?
Et comme pour donner tort à la matriarche, Alma se tut. Plus aucun son ne vint de l'étage, jusqu'à ce que la femme de chambre descende en annonçant :
– C'est une fille... Chapitre 2 : La passion selon Iris Trois jours à peine après la naissance de sa petite Ismène Sambre, Hugo partait, pour Sienne cette fois-ci. Mais contrairement aux vœux de son père, ce n'était pas pour trouver un sénateur prêt à acheter la mine de cuivre devenue improductive. C'était pour montrer à des érudits les crânes et les ossements qu'il avait récoltés, et ainsi pouvoir confirmer sa théorie. Peu lui importait de devoir se fâcher sans doute définitivement avec sa famille pour pouvoir réaliser ce rêve. Il était déjà préparé à ce que son père le chasse de la maison avant même que celui-ci eut parlé.
Dès l'aube du troisième jour, il entamait une longue chevauchée vers la capitale. Aussi long qu'il soit, son voyage se déroula sans anicroches ; c'était à croire que tout le monde était occupé ailleurs, y compris les brigands. A Sienne même, il logea dans un hôtel particulier qu'avait acheté l'un de ses ancêtres, et dont les clés reposaient sagement dans la bibliothèque des Sambre à la Bastide – en tout cas, jusqu'à ce qu'il s'en empare. Les mois suivants s'écoulèrent paisiblement, pour lui qui ignorait les tourments d'une guerre qui touchait déjà à sa fin, et qui faisait de son mieux pour ne pas se laisser déstabiliser par la grande ville. Le jour, il courait les bibliothèques, et la nuit, il couchait ses réflexions sur papier. Sur le conseil de son dévoué contremaître, avec qui il correspondait toujours régulièrement, il préparait déjà le fameux manuscrit encore dénué de titre qu'il présenterait à quelque grand salon d'érudits dans l'espoir de trouver parmi eux un mécène et d'éponger ainsi les dettes qui s'accumulaient. Sur ce point-là au moins, il ressemblait à son père, dilapidant promptement les maigres bénéfices de la mine pour servir sa passion, tout en ordonnant à Caplan Goetz de poursuivre les fouilles coûte que coûte.
Mais à la fin de l'été, le dialogue entre le vicaire et son patron fut rompu. Dans sa dernière lettre, Goetz parlait d'une découverte si extraordinaire qu'il devait se rendre en personne à Sienne pour la faire partager sur le vif à Hugo. Ce dernier, qui s'était habitué à sa solitude et à sa routine quotidienne, accueillit froidement un homme complètement exalté.
– Lisez ! lança Goetz en guise de salut, tout en brandissant une affiche de théâtre. – Eh bien ? Ce n'est qu'un placard, rétorqua Hugo en regardant le titre, La Muette de Nevassa. Quel rapport avec ce qui nous occupe ? – De l'autre côté des montagnes, à Daein, on ne parlait que de ça à une époque, et justement, voilà qu'ils la rejouent, à Sienne... lisez, je vous dis ! C'est Iris qui joue le rôle de Fenella ! – Iris ? s'étonna platement Hugo. – Vous ne la connaissez pas ? s'effara Goetz. Mais vous ne sortez jamais ? – Vous me demandez si je connais une actrice ? s'indigna le jeune homme. Je suis marié, monsieur le vicaire, et peu me chaut que cela vous paraisse démodé, je ne partage pas le goût pour la débauche de mon père ! – Monsieur le patron, j'insiste ! Il en va de l'intérêt de nos études ! Quand vous verrez Iris, vous comprendrez... qu'elle est l'aboutissement de nos recherches ! L'incarnation vivante de nos plus folles théories !
La Muette, c'était Daein bâillonné par Begnion, tout le monde le devinait. La pièce, audacieuse au temps de sa création, n'était maintenant qu'un grand succès de plus sur les planches... Hugo, lui, se fichait de l'intrigue comme de tout ce qui touche à la politique. Pour tromper l'ennui des premières scènes, il scruta, comme le lui suggérait le vicaire, la gorge de l'actrice, particulièrement mise en valeur pour les besoins de la pièce... Et sa bouche qui laissait échapper des sifflements rauques pour mieux évoquer la muette Fenella...
Mais ce furent les yeux d'Iris qui le laissèrent sans voix.
A la fin du premier acte, au moment où Fenella cherchait dans la foule son funeste séducteur, Hugo sentit instantanément qu'elle ne regardait que lui... Qu'elle le fixait de ses yeux de sang comme seule une divinité antique peut le faire... Laissant le silence trouver les mots...
Alors il comprit que cette première guerre, la pire de toutes, était éternelle... qu'elle se répèterait de siècle en siècle, sans capitulation ni armistice, jusqu'à ne laisser que des vaincus...
Car cette guerre était en lui. ***** La première bataille dura neuf jours. Neuf jours où Hugo revint aux premières loges du théâtre de Sienne, neuf jours où le jeune Sambre revit en boucle l'entrée en scène de Fenella. Et neuf jours encore où il se jura que, cette fois, la journée serait la dernière à Sienne, où il se jura que le lendemain, il quitterait la capitale pour revenir au chevet de son père mourant, et dont les lettres ne cessaient de lui parvenir. Le neuvième jour, il revint voir la pièce. Comme chaque jour, Fenella la muette entrait en scène, poursuivie par deux gardes, enchaînée, dépoitraillée, et s'arrêtait au bord de la scène, à deux pas de lui. Il entendait sa respiration, voyait sa gorge se soulever, et surtout croisait ce regard éperdu, écarlate et muet, cherchant dans la foule ce maudit Sigurd, qui l'avait mise en prison. A chaque fois, Hugo se sentait transpercé, mis à nu, comme un squelette... jusqu'à ce que les quelques chanteurs entonnent derrière elle le chœur de la vengeance et de l'appel aux armes. La suite, aussi classique soit-elle, lui arrachait toujours des larmes, à lui qui n'avait encore jamais vu de théâtre avant. Fenella se sacrifiait pour sauver le riche mariage de Sigurd et Cécilia, la révolte des insurgés de Nevassa était matée par l'armée de Begnion et une meute d'hommes déguisés en laguzs attaquait pour faire bonne mesure... Enfin au dernier acte, Fenella, apprenant la mort de son frère trahi et empoisonné, se suicidait en se jetant du haut d'un donjon... Et ce dernier jour, avant de revenir à la Bastide, Hugo alla attendre Iris à la sortie du théâtre. Mais celle-ci ne lui accorda pas un regard... Elle suivit sans un mot un vieillard qui lui tendait un énorme bouquet de fleurs rouge sang. Le vicaire, qui avait docilement accompagné son patron pendant toutes les représentations, le lui dit : on n'invitait Iris qu'avec des fleurs... Mais pas n'importe lesquelles ! C'étaient des iris rouges de Crimea, les fameuses "roses criméennes" qu'il fallait lui offrir... Et bien sûr, on ne trouvait ces iris que pour un prix exorbitant. Hugo ne répondit rien, estomaqué. Le lendemain, il ne revint pas au théâtre ; il prit quelques bagages et un nouveau cheval, l'autre ayant été vendu dès son arrivée à Sienne, et retourna à la Bastide. Juste à temps... Comme il s'y attendait, le foyer était morose quand il rentra enfin, après cinq autres jours d'une chevauchée qui le laissa aussi exténué que sa monture. Son père avait lutté pendant deux semaines contre le mal qui le rongeait pour avoir une chance de revoir son fils, juste avant d'expirer... Hugo fut là pour entendre ses derniers mots. Mais ceux-ci ne furent qu'un murmure inaudible. Et alors que tout le monde à la Bastide se lamentait, lui seul restait impassible. Seule une question l'obsédait... les yeux des morts gardent-ils leur couleur ? La soirée qui suivit les funérailles fut étrangement guillerette, comme si le poids du chagrin nécessitait une compensation. C'était à celui qui se rappellerait l’anecdote la plus fameuse d'une vie parfaite, celle d'un noble père d'une glorieuse famille... Seul Hugo arrivait encore à trouver des mots méchants pour parler de son père. A vrai dire, au lieu de se laisser gagner par la relative bonne humeur de sa mère et de ses sœurs, il n'eut pour leur répondre que des remarques acerbes sur un père qu'il avait sans doute aimé avec ferveur quand il était petit, mais qui n'était à présent plus pour lui qu'un vieil homme sans cœur. Quand donc retournes-tu à Sienne, Hugo ? Tu nous fais honte à toutes ! C'était le meilleur des pères !Ces phrases lancées avec mépris devinrent vite le cri de guerre de ses sœurs... Mais elles n'obtinrent pas tout de suite ce qu'elles voulaient. Il fallut une lettre de Goetz pour convaincre Hugo de redescendre dans la capitale, ne serait-ce que quelques mois : le contremaître l'informait en effet que le filon de la mine était épuisé et qu'il devait vite rentrer à Sienne pour lui trouver un acheteur et ainsi réaliser à titre posthume la volonté paternelle. En tout cas, c'est ce qu'Hugo annonça à sa famille. Ce qu'annonçait la lettre de Goetz était une réalité bien différente : si la vieille mine ne contenait en effet plus de cuivre, elle était loin d'avoir livré tous ses secrets, et plutôt que de vendre, il fallait trouver d'autres financements. C'est ainsi qu'il reprit la route au début de l'hiver, dans l'indifférence générale, promettant de ne plus revenir avant le printemps prochain. Alma ne fit aucun commentaire. Fait notable, à partir de ce jour, elle ne réclama plus la moindre nouvelle de son mari. La seule à pleurer le jour du départ d'Hugo, c'était Ismène... Une fois à Sienne, Hugo vendit tout le legs de son père sans une ombre de remords. Il ne garda que le vieil hôtel devenu sa tanière... Gagné par l'euphorie des lendemains chantants, il engagea du même coup Goetz comme secrétaire personnel, lui enjoignant de quitter les montagnes et la mine pour rester avec lui, et l'assister dans ses recherches. Et le même jour, il ordonna à son tout nouveau secrétaire de l'amener là où l'on pouvait acheter des roses criméennes... La boutique de la vieille Olga, la seule d'après Goetz à vendre ces précieuses fleurs, était une minuscule échoppe dans l'un des quartiers les plus mal famés de la ville, et n'avait que des couronnes mortuaires en vitrine. Quant à Olga, c'était une naine bigleuse qui tendit trois marguerites fanées à Hugo quand celui-ci lui demanda des roses criméennes... Et pendant que le vicaire se faisait tout petit derrière lui, le jeune homme demandait avec insistance à avoir les roses les plus chères. Il aurait pu manger deux mois durant avec la fortune qu'il versa sans une arrière-pensée à la vieille naine. Il n'eut guère plus de remords quand son secrétaire échoua à trouver une place dans le théâtre grouillant de monde, se contentant de rester immobile et raide comme un pieu devant l'entrée des artistes. Peu lui importait d'attendre dans le froid hivernal. Que ne ferait-on pas pour des yeux de sang... Iris se fit attendre deux heures après la fin de la pièce. Comme le voulait le rituel, Hugo, transi, lui offrit le bouquet sans un mot, et elle le prit sans un regard, aussi enjouée qu'à l'accoutumée. On aurait pu croire qu'elle n'avait pas encore quitté la scène... Comme un figurant, il la suivit sans broncher, tandis qu'elle jouait son rôle de courtisée avec le brio qu'on attendait d'une professionnelle. Les répliques étaient déjà répétées et la pièce prête à être rejouée pour la énième fois... Et il put enfin la voir vraiment, en tête-à-tête, dans une luxueuse taverne dont elle semblait faire partie des habitués. Mais Hugo s'aperçut alors qu'il ne connaissait pas son texte... Tout ce qu'il arrivait à faire de façon convaincante, c'était dévorer Iris du regard, se plonger dans ses yeux à la couleur encore plus profonde que celle du vin qu'il n'osait pas boire... Cette première fois où il vit Iris en face fut la seule où il ne pensait pas à la guerre qui se profilait. Il ne pensait qu'à ces yeux dont il savait qu'il les avait déjà vus avant, bien avant... Cependant, hors du rôle de Fenella, la comédienne n'aimait pas les pièces muettes. La silencieuse adoration d'Hugo l'ennuyait plus qu'autre chose, et avec son art consommé de tragédienne, elle laissa la colère lui monter aux joues, se leva et dit de sorte que tous puissent l'entendre : – Quel ennui, milord, quel ennui ! Vous me fatiguez... Trouvez-moi un coche. Je veux rentrer.– Attendez ! Vous ne pouvez pas partir comme ça ! Je vous ai offert des roses... des roses criméennes... plaida Hugo. – Oui, et après ? rétorqua Iris. Vous croyez que cela m'oblige à écouter vos jérémiades ?– Vous vous méprenez ! assura Hugo en se levant pour lui prendre le poignet. Je ne suis pas... enfin... Iris, je vous en prie, c'est pour la science !– La science ? répéta l'actrice. Voilà un prétexte dont on n'avait pas encore usé avec elle. Comment vous appelez-vous, déjà ? Hugo ? C'est un nom de poète... Venez chez moi demain vers dix-sept heures. Je serai levée... Vous viendrez, n'est-ce pas ?Avait-elle vraiment besoin de s'en assurer ? Le regard moqueur qu'elle adressa à Hugo avant de partir prouvait qu'elle le savait déjà ensorcelé. Et à cet instant, juste avant qu'elle ne disparaisse, il sentit confusément que ces yeux-là l'avaient déjà regardé, et que ce n'était pas sur une scène de théâtre. Même l'Histoire se répétait de siècle en siècle... ***** La révélation lui vint alors qu'il rentrait chez lui. Goetz l'attendait patiemment devant la taverne, aussi dévoué qu'un domestique, et sans même chercher à savoir s'il l'avait attendu tout ce temps, Hugo le fit venir avec lui, jurant de ne pas lui donner congé avant dix-sept heures le lendemain. C'est qu'il y avait beaucoup à écrire, maintenant qu'il avait enfin le sentiment d'avoir tout compris... Et aidé par le vicaire, il consigna tout dans une énorme liasse de feuillets, l'ébauche de la future œuvre de sa vie, la Guerre des Yeux. Pour lui, à l'aube de l'humanité, il n'y avait ni beorcs ni laguzs. Juste des gens aux yeux bleus, de ce bleu indéfini qu'ont les yeux des bébés. Certains d'entre eux devinrent, en grandissant, des hommes aux yeux noirs, et d'autres, des hommes aux yeux rouges... C'est à force de faire le rapprochement entre les yeux d'Iris, les statuettes d' idoles païennes aux yeux rouges que lui avait montrées Goetz, le crâne à l'œil de rubis et la femme sur la peinture rupestre qu'il comprit enfin... Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, cette femme aux yeux rouges était l'ancêtre d'Iris. Traquée, persécutée par les hommes comme par les bêtes, elle voulait se venger... Transmettant à ses filles sa haine et ses yeux... Les deux hommes passèrent toute la nuit à échafauder des théories pouvant expliquer l'origine des yeux rouges et la raison pour laquelle ils avaient été exterminés, poussant leurs descendants à se venger... Qui étaient les premiers bourreaux ? Qui étaient les premières victimes ? Pas un moment, il ne leur parut utile d'assimiler les animaux anthropomorphiques de la fresque à des laguzs. Pour eux, c'était soit une histoire qui ne concernait que les beorcs... soit une histoire transcendant les deux races. Hugo était le plus enthousiaste dans cette seconde théorie, lui à qui on avait appris que les laguzs n'étaient pas si différents que ça de lui et des siens... Le lendemain, à dix-sept heures, il n'avait pas dormi, et attendait sur le pas de la porte d'Iris. Il n'y avait qu'un hôtel de maître, dans les beaux quartiers de Sienne, qui attirait autant de monde que la célèbre brasserie Tortoni, c'était le pavillon de Seliora. Iris y avait ses appartements au dernier étage. Ainsi les nobles entichés d'elle s'attardaient sur le trottoir pour guetter l'apparition furtive à la fenêtre de leur dernière coqueluche. Et surtout si elle était accompagnée... De là naissaient nombre de suppositions sur le nom de l'homme qui partageait fugacement son intimité. C'est dire si les entrées de son immeuble étaient espionnées. Pour son bonheur, Hugo arriva entre chien et loup, et ne fut guère remarqué. En vérité, au vu de sa tenue un peu trop soignée et de la liasse de parchemins qu'il avait sous le bras, on aurait pu le prendre pour le commis de quelque marchand... Il est vrai qu'en journée, les créanciers se bousculaient devant chez Iris, plus encore que les amants. Celle-ci n'avait qu'une domestique, une vieille tigresse usée jusqu'à l'os par des décennies, peut-être même des siècles de servitude. La discrétion était sa première qualité. D'autant que l'un de ses anciens maîtres lui avait coupé la langue pour avoir volé et menti sur son larcin... Hugo ne réalisa pas tout de suite que c'était la première laguz qu'il voyait en vrai. Et à vrai dire, la voix d'Iris, qui l'appelait depuis l'intérieur de son appartement, lui fit aussitôt oublier la vieille bête ou le fait qu'elle ne devrait même pas être ici. Il entra, attiré par le timbre mélodieux de la voix d'Iris, et la vit sous un angle qu'il n'aurait jamais osé imaginer. Elle était nue, dans sa grande baignoire de marbre ; et loin de penser quoi que ce soit, loin de regarder sa gorge comme il l'avait fait sur la scène, Hugo ne fixait que ses yeux... – Ainsi, vous prétendez être différent des autres... dit-elle avec un sourire charmeur. Je ne vous plais pas ?– Je... là n'est pas la question, mademoiselle, se défendit Hugo en lui tendant ses feuillets. Mais quand je vous disais avoir une révélation à vous faire et que vous refusiez de m'écouter, j'ai pensé vous l'écrire ! Voyez, j'y ai travaillé toute la nuit.– Vous avez écrit tout cela pour moi ? s'étonna Iris. C'est plus qu'un poème, c'est un roman !– C'est le début d'un livre dont vous êtes le personnage principal, Iris. Je vous assure, quand je vous regarde...– Ah non, Hugo, vous n'allez pas recommencer avec mes yeux ?! C'est donc la seule chose qui vous intéresse chez moi ? Si vous saviez quelle souffrance cela me rappelle... Vraiment, ne pouvez-vous pas porter votre regard ailleurs ?Et toujours avec sa moue de tragédienne en pleine répétition, elle se leva et jeta les feuilles dans l'eau de son bain. – Non …. ? Non !! cria Hugo. C'était le travail d'une nuit...– Oups ! J'ai été maladroite, il me semble...– Ils sont illisibles maintenant... déplora Hugo en ramassant du mieux qu'il pouvait quelques parchemins trempés dont l'encre s'était diluée dans l'eau. – Eh bien quoi ? soupira l'actrice. De toute manière, je ne sais pas lire. Allons, Hugo, ne faites pas cette tête ! Ce n'est que du parchemin. Avouez que vous n'êtes pas venu pour ça...Le temps qu'elle reprenne sa pose, la porte avait déjà claqué derrière Hugo. Mais si elle savait ce qui l'avait fait fuir... Dans ses yeux, il avait vu ce soir-là quelque chose qu'il n'avait encore jamais remarqué : la haine pure, pulsant dans son regard comme une source silencieuse dont elle n'était peut-être pas consciente, mais la haine quand même, cette haine ancestrale qu'elle avait pour les yeux noirs... Hugo avait pris peur. Il s'était lâchement enfui, comme un soldat sentant sa fin proche. Oui, un soldat... Pion malgré lui d'un grand jeu qui le dépassait. Soldat involontaire de la Guerre des Yeux... Mais un soldat amoureux. S'il portait en lui une crainte viscérale des yeux d'Iris, il ne pouvait nier qu'il aimait cette femme. Avant, il avait fini par réussir à se convaincre qu'il aimait Alma, mais depuis qu'il avait senti la violente passion le prendre aux tripes dès la première fois où il avait vu Iris, il avait compris qu'il s'était menti tout ce temps. L'amour, le véritable amour que certains passaient leur vie à poursuivre, n'avait rien à voir avec le pacte de non-agression qu'il avait signé avec sa capricieuse épouse. Il le réalisait enfin... Et si Iris lui faisait peur, à cause de ses yeux ennemis des siens, il ne pouvait ignorer les appels désespérés de son cœur. Ne la fuis pas, lui criait celui-ci... Ne gâche pas ta chance de l'aimer. Le lendemain, après avoir de nouveau extorqué un bouquet de roses criméennes à la vieille Olga, il revint voir Iris à dix-sept heures sonnantes. Ce jour-là, il n'y avait aucun badaud sur le trottoir, ce qu'il interpréta comme un bon signe. Cependant, sitôt qu'il arriva à l'étage où logeait Iris, la tigresse muette lui barra le passage, et alors qu'il la bousculait sans ménagement pour passer, il vit devant la porte la vieille Olga, qui lui dit avec son sourire narquois qu'Iris n'était plus là... partie en voyage avec un certain duc de Tanas. Un homme aussi riche qu'elle était capricieuse... Dépité, Hugo reprit la route de la Bastide le soir même, laissant le vent effeuiller le bouquet accroché à sa selle. ***** Alma avait dit une fois que son mari avait le don de revenir quand on l'attendait le moins. Hugo se doutait bien que personne ne l'attendait plus à la Bastide. Mais pas que sa mère partirait avant de l'avoir revu... Aux dires de ses sœurs, elle s'était éteinte presque d'un coup, comme une bougie qu'on souffle. Trop vite pour qu'on juge nécessaire d'avertir le fils indigne, puisqu'il ne pourrait revenir que trop tard... La matriarche avait pourtant, paraît-il, pensé à lui dans ses derniers instants. Et pas pour le maudire...
Cela aurait pu être pour Hugo une nouvelle occasion de revenir dans la famille, de reprendre sa place à la Bastide... S'il n'était pas convaincu de ne plus pouvoir revenir dans cette vieille forteresse figée, où chaque paire d'yeux noirs dont il croisait le regard lui rappelait l'intemporelle guerre des yeux. Car il en était à présent convaincu : yeux noirs et rouges ne pouvaient coexister. Et puisqu'il ne pouvait ni se résoudre à tuer Iris, ni attendre qu'elle le tue, il ne voyait que la fuite comme option. S'éloigner loin d'Iris, loin de ce conflit du fond des âges, quitte à s'engager dans une autre guerre, d'un ordre bien différent... Et même s'il promit à Alma qu'il ne faisait que revenir à Sienne quelques temps et qu'il reviendrait souvent la visiter, il savait que ce n'était jamais qu'un autre mensonge. Comme bien des jeunes gens, il cherchait dans l'armée son salut. Après tout, il ne savait pas se battre, et n'avait pas non plus ce qu'on appelle communément "l'esprit combattif". Il ne savait pour le moment que s'obstiner... ou fuir. Or il le savait, cela ne lui suffirait pas pour faire quoi que ce soit pour Iris. Ni pour la combattre... Ni, qui sait, pour la sauver d'une guerre dans laquelle elle n'avait, au fond, rien à faire. Car Hugo ne croit pas totalement à la prédestination. En repensant à sa mère, qui s'était teint les cheveux en rouge comme se devait de le faire toute épouse d'un Sambre, il en avait conclu qu'il était parfois possible de déformer ce qu'on avait reçu de la nature...
Pourquoi pas les yeux ?
C'est cette idée aussi folle que le reste qui lui donna le courage nécessaire pour se présenter à la garnison la plus proche et demander son incorporation dans la cavalerie, deux heures à peine après avoir envoyé à Goetz une lettre dans laquelle il lui disait de cesser les fouilles et de fermer la mine. Le nom de Sambre était assez connu pour que les officiers ne soient pas trop regardants sur les capacités militaires du jeune homme, même s'ils furent surpris d'apprendre que ce dernier n'avait même pas de quoi acheter son cheval et ses armes... Hugo savait que les autres soldats ne fermeraient pas autant les yeux. Mais la vie de chien de l'armée lui paraissait un prix plus qu'acceptable en échange de la force dont il aurait besoin pour affronter son destin... et l'infléchir. Il en est certain, c'est la voie martiale qui lui permettra d'acquérir cette force... Peu importe combien de batailles il devra affronter pour cela.
Quand enfin il sera prêt, il sait qu'Iris l'attendra, elle aussi prête...
Comment avez-vous connu le forum ? : Par mon ami Google Expérience du Role-Play : Un certain nombre d'années de service sur des forums consacrés à Final Fantasy et Fullmetal Alchemist. J'ai un faible pour les séries dont le nom commence par un F. En revanche, c'est bien la première fois que je prends un forum de role-play comme prétexte pour un hommage à Yslaire... |
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